La juridiction financière recommande un chiffrage « plus réaliste » de ce chantier « hors norme ».

Par Pierre Le Hir et Nabil Wakim, juillet 2019, le monde

Combien coûtera le projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), destiné à confiner les déchets nucléaires français les plus dangereux dans le sous-sol de la commune de Bure (Meuse) ? Alors que différentes estimations circulent depuis plusieurs années pour cette installation censée entrer en service entre 2025 et 2030, les magistrats de la Cour des comptes ont souhaité faire la lumière sur cet épineux problème, dans un rapport sur « l’aval du cycle du combustible nucléaire » rendu public jeudi 4 juillet.

En 2016, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, avait fixé par arrêté le coût total à 25 milliards d’euros. Une façon de couper la poire en deux, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), chargée de ce projet, l’ayant chiffré à 34,5 milliards d’euros, tandis que les producteurs de déchets – EDF, Orano (ex-Areva) et le CEA – l’évaluaient à 19,2 milliards d’euros. La Cour des comptes appelle à une plus grande vigilance sur l’estimation de ce chantier « hors norme ». Elle recommande notamment de « mettre à jour les coûts du scénario de référence de Cigéo en prenant en compte de manière plus réaliste les risques et opportunités du projet ».

Autrement dit, elle invite à une opération de transparence sur les coûts réels du stockage de Bure sur le long terme.

Un seul scénario pris en compte

Celui-ci est prévu pour accueillir 85 000 m^3 de déchets à haute activité et à vie longue (plusieurs centaines de milliers d’années), qui seront enfouis à 500 mètres de profondeur, dans une couche argileuse. Ces volumes sont ceux calculés dans le cadre d’un scénario de référence, qui prévoit un fonctionnement des réacteurs nucléaires français pendant une durée moyenne de cinquante ans, avec une poursuite du retraitement permettant de recycler une partie du combustible usé. Mais ils ne prennent pas en compte d’autres scénarios, comme l’arrêt du retraitement qui ferait croître les quantités de déchets à stocker. Ils ne prennent pas non plus en compte les déchets qui seraient produits par un futur parc nucléaire.

Dans son rapport, la cour doute que les éléments sur lesquels s’appuie actuellement l’Andra soient suffisamment robustes pour établir les coûts de façon fiable, sur une durée aussi longue que celle du projet, Cigéo devant être exploité pendant au moins cent vingt ans. « Bien que des incertitudes soient inévitables s’agissant d’un chiffrage projeté sur un siècle et demi, il est souhaitable que la prochaine mise à jour du chiffrage du scénario de référence de Cigéo soit fondée sur une méthode plus réaliste que celle adoptée pour le chiffrage arrêté en 2016 »,notent les magistrats.

Ils soulignent notamment qu’un certain nombre d’hypothèses sur les travaux à réaliser sont en décalage avec celles d’autres chantiers de taille, comme le tunnel sous la Manche ou le Grand Paris Express. Pour certaines parties du projet, comme les équipements mécaniques et le bâtiments de surface, aucune part d’aléa n’a été prévue, ce qui semble étonnant compte tenu de l’ampleur du chantier.

La cour demande également aux promoteurs du projet de prendre en compte différents scénarios, qui reviendraient à devoir stocker plus de déchets que prévu et feraient ainsi gonfler significativement le coût. Une demande déjà rejetée par EDF et le ministère de l’économie et des finances, qui refusent d’envisager un redimensionnement du projet.

Le rapport souligne justement que tout renchérissement du coût du projet aurait des conséquences financières importantes pour EDF et Orano. Il précise que selon l’Agence des participations de l’Etat,« une augmentation de 1 milliard d’euros du devis de Cigéo aurait un impact d’environ 300 millions d’euros sur les provisions et les actifs dédiés d’EDF et d’environ 25 millions d’euros pour Orano ». Un défi majeur pour EDF, dont l’équation financière est déjà complexe.

Oppositions et retards

La Cour des comptes prend également note des différentes oppositions au projet Cigéo et observe qu’elles peuvent entraîner un retard certain – estimé de deux à quatre ans par l’Andra sur le calendrier initial – et donc renchérir les coûts. On apprend du reste dans une note de bas de page qu’’« afin de maîtriser ce risque », l’Andra dépense 1,2 million d’euros par an, « dont 500 000 euros pour le seul espace pédagogique du centre ».

Hors Cigéo, la juridiction financière souligne par ailleurs que « les coûts d’exploitation et d’investissement sur les sites d’entreposage et de stockage [de déchets radioactifs]vont croître au cours des prochaines décennies ». Le rapport précise : « Entre les montants actuels et ceux projetés en 2050, les coûts d’exploitation croîtraient de plus de 90 %. Les investissements cumulés sur les principaux sites de stockage et d’entreposage, qui ont représenté 255 millions d’euros entre 2014 et 2017, pourraient s’élever à près de 1,4 milliard d’euros entre 2018 et 2030, et augmenter d’un milliard et demi d’euros supplémentaire entre 2030 et 2050. »

Globalement, la Cour des comptes appelle donc à la vigilance sur « des dépenses futures dont le financement doit être mieux contrôlé ». Nul doute que son rapport viendra nourrir le débat public en cours sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, dont la clôture est prévue fin septembre.

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« La Cour des comptes prend également note des différentes oppositions au projet Cigéo et observe qu’elles peuvent entraîner un retard certain – estimé de deux à quatre ans par l’Andra sur le calendrier initial – et donc renchérir les coûts. On apprend du reste dans une note de bas de page qu’« afin de maîtriser ce risque »l’Andra dépense 1,2 million d’euros par an, « dont 500 000 euros pour le seul espace pédagogique du centre ».