À leur décharge on pourrait arguer que l’article nous vient d’Allemagne et qu’ils n’en sont que le modeste véhicule, si ce n’est que le choix de publier maintenant, soit donc 6 mois après sa parution originelle, cet article sur des évènements qui se sont principalement produits près de deux ans auparavant, relève soit de la mauvaise intention, soit d’une flemme intellectuelle assez déplorable. D’autant que, contrairement à ce que pratique le Courrier dans ses dossiers, il ne figure ici aucun article en vis à vis qui contre-balancerait celui-ci. Nada, rien, juste ce torchon qui navigue entre sensationnalisme et investigation, sans s’encombrer d’une quelconque distance objective avec son sujet.
Passons sur l’image du zadiste masqué dans un arbre, au coeur d’un bois occupé mais expulsé depuis plus d’un an au moment de la parution de l’article ; ne nous attardons pas plus sur le titre « Bure, les riverains n’en peuvent plus … » qui fait régulièrement la une de l’un ou l’autre article pondu par des journalistes lorsqu’ils décident de se payer les zadistes antinucléaires de Bure. À chaque fois on a le droit à notre petit article vite fait mal fait de micro-trottoir burien qui décrit un territoire dont les habitants sont pris en otage, au mieux entre le marteau et l’enclume des flics et des activistes, au pire par les hordes sauvages et antinucléaires qui hantent et ravagent la région. S’il est vrai que la vie des habitant.e.s de Bure n’est pas particulièrement enviable entre l’omniprésence policière et les à-côté intempestifs et fluctuants de la lutte contre le projet Cigéo, la tentation du journalisme parachuté pour la journée de brosser un tableau haut et en couleur avec les traits les plus saillants de ce qu’il capture au vol, produit généralement des articles assez caricaturaux et creux. Et celui-ci ne déroge pas à la règle, bien au contraire il fait école en la matière.
On commence avec une mise en situation en juin 2017 (juin 2017 pour un article de mai 2019 !?) du courageux M. Maltrud Michel qui s’élance fusil extincteur à la main au-devant de six malfrats armés de battes de baseball. Stop … on rembobine : il n’a jamais été question de battes, nulle part dans les propos de M. Maltrud, ni même d’un fusil de chasse, d’autant que l’acteur principal de la scène n’est pas M. Maltrud mais le chef cuisinier. Bref, passons, on continue le récit. M. Maltrud qui n’est pas M. Maltrud s’élance donc dans la cuisine d’où proviennent des flammes de plusieurs mètres de haut et des bidons d’essence jonchent le sol. On refait une pause … il est question d’un départ de flammes dans les témoignages du chef cuisinier, et non de flammes de plusieurs mètres, et les enquêteurs trouvent à côté d’une tâche de suie au sol une bouteille contenant de l’essence et non un parterre de bidons, et en tous cas pas dans la cuisine mais dans la cafétéria. On est loin du tableau apocalyptique de notre ami le romancier Fabian qui nous transformerait la guerre des boutons en Apocalypse Now.
Le groupe de six individus décrit dans l’article « disparaît dans la Maison de Résistance, une vieille grange située dans le village de Bure ». La « veille grange » est une grande maison fermière en pierre comme il s’en trouve un certain nombre dans le village, qui n’apprécieraient pas plus d’être qualifiées de vieilles granges. D’autant que la vieille grange en question a fait l’objet de travaux durant plusieurs années depuis 2004 avec les investissements du Réseau Sortir du Nucléaire pour accueillir des groupes et évènements divers en lien avec la lutte contre Cigéo. On laissera chacun.e juger sur le blog de l’association Bure Zone Libre si Fabian, qui dit être passé devant la maison, a ou non délibérément stigmatisé le lieu pour les besoins de parfaire son sombre tableau.
Suit après une description où soixante gendarmes déjeunent à l’Hôtel Restaurant, casques et armes sur la table. Là encore, pour qui s’est aventuré récemment à l’Hôtel Restaurant, s’il est vrai que les gendarmes y prennent leurs aises, ils ne sont pas armurés de pied en cap pour prendre leur en-cas et préfèrent généralement laisser l’armurerie dans l’estafette.
Une petite phrase d’ambiance ensuite pour replacer le village dans son décor de futur poubelle nucléaire de la « première puissance nucléaire mondiale ». Il va falloir expliquer à Fabian qu’il doit réviser un peu sa géographie et sa géopolitique avant d’écrire des articles, parce que si la France dispose effectivement d’une grande densité de centrales, le qualificatif de première puissance nucléaire mondiale ne veut absolument rien dire et s’avère sur bien des plans factuellement inexact. Et Fabian de continuer sa tartine en résumant 25 ans d’installation de l’Andra à Bure par « l’Andra prévoit d’enfouir une première tonne de déchets nucléaires en 2030 – pour une durée de 100000 ans. Le préfet du département a répondu à un appel d’offres pour accueillir le site. Le maire a donné son accord. » Merveilleux de simplicité : hop, on projette le plus grand chantier d’Europe et un des plus coûteux pour enfouir les déchets les plus radioactifs et le préfet répond à l’appel d’offre « grosse poubelle pour 100000 ans » à laquelle le maire répond « ça marche » et le tour est joué ! Exit les trois autres sites potentiels d’enfouissement dans les années 90, exit la mention au laboratoire d’étude, exit les phases de débat public, exit aussi la déclaration d’utilité publique et l’autorisation de création de Cigéo qui doivent intervenir dans les prochains mois …
Bref, continuons… Bure se retrouve peuplé de 90 habitant.e.s (il en a gagne quelques-un.e.s), mais peu importe, on est pas à une approximation près. Et ces habitant.e.s ont peur ! Le voisin qui bosse pour l’Andra et qui va déménager parce que les opposant.e.s ont découvert son travail, cette autre voisine qui prend des somnifères quotidiennement pour pallier aux bruits de l’hélicoptère qui survole la guerre que se livrent flics et militants. C’est Fort Alamo en Meuse que nous décrit Fabian. On l’imagine déjà courir sous les jets de pierre qui sortent des « fenêtres aveugles » de la Maison de Résistance, esquiver les balles tirées depuis la ligne de cars de gendarmes qui « s’accumulent à mesure qu’on s’approche des lieux ». Un vrai roman ! Sauf que si les patrouilles se suivent effectivement à intervalle de 30 à 60mn sur les routes dans un rayon de 10km autour de Bure, si des voitures de gendarmes ont déjà essuyé des jets de pierre, si les contrôles sont journaliers sur les routes et les chemins et s’il arrive que des militant.e.s se déplacent masqué.e.s pour échapper au fichage systématique en vigueur sur place et sont traînés régulièrement au poste, la plupart du temps les champs voient passer plus de vaches et de tracteurs que de flics et de militant.e.s et l’hélicoptère est réservé pour les jours d’affluence, plutôt rares dernièrement. Et si la présence policière est importante avec un escadron de gendarmerie mobile qui tourne sur place 24/24h et stationne souvent devant les habitations, la réalité quotidienne n’empêche pas non plus notre brave madame michu de dormir toutes les nuits. Et quant à M. Andra, tout le monde sait depuis toujours qui est son employeur, et durant longtemps ça ne l’a pas trop dérangé pour manger sur sa terrasse ou se baigner dans sa piscine avec vue sur la Maison de Résistance.
Mention spéciale pour le passage sur les drones policiers qui croisent ceux des militants dans le ciel de Bure. Excepté les journées de manifestation qui se comptent sur les doigts d’une main en deux ans, on ne voit pas de drone, et encore moins plusieurs d’entre eux simultanément, dans le ciel burien. Pour ce qui est de ceux des militants, on se demande d’où ça sort cette info : avant d’acheter des drones, on a déjà le joint de culasse du camion à changer généralement. Fabian a du confondre avec la vidéo de Greenpeace qui montre des survols de sites de l’Andra dans toute la France. À Bure nous n’avons pas ces moyens-là …
Vidéo de Greenpeace : https://www.youtube.com/embed/hTfHZb5xH6E
Suit un paragraphe intitulé « la manne des risques », concept intéressant à retenir au passage. On y passe à un gloubiboulga cryptique sur « les colis de déchets de structure des assemblages de combustibles usés réduits à la taille de bâton de mikado, compactés, broyés, vitrifiés, entreposés dans des fûts en acier inoxydable, recouverts d’une couche de vingt centimètre d’acier, coulés dans un bloc de béton et enfermés dans une cage en fonte ». De quoi faire rêver d’évasions improbables David Coperfield ou filer la migraine à tous les youtubers vulgarisateurs qui sont dans les petits papiers de l’Andra pour expliquer Cigéo pour les nuls.
Finalement le seul passage qui donne dans le vrai est celui qui décrit l’arrosage financier du territoire et les « lampadaires flambants neufs » qui agrémentent les villages riverains de la future poubelle. C’était pas trop mal engagé en tous cas, mais Fabian rechute avec cet extrait collector : « La Meuse et la Haute-Marne se situent dans le tiers inférieur des départements français en matière de revenus par habitant, mais elles se situent dans le haut du classement sur les plans de l’endettement et de la désertification. Les autorités nucléaires ont promis de régler tous ces problèmes – à coups de subventions. »
…
On ne peut qu’en rester pantois. Un vrai prodige linguistique digne d’une mauvaise copie de collège. Aligner un contresens syntaxique et un raccourci aussi énorme, il fallait l’oser. Personne, au Tagesspiegel ne relit donc la copie du petit Fabian avant publication ? Rassurons-nous, les autorités nucléaires règleront tout ça et Fabian se verra confier le ministère de la propagande à l’ère nucléaire.
À se demander, devant une telle évidence, pourquoi les opposant.e.s et Claude Kaiser en tête, cité à la suite, ne se sont pas incliné.e.s dès le départ face à cette adversité écrasante. Car Claude faisait partie des « premiers et rares opposants au site d’enfouissement ». Oubliées les mobilisations de plusieurs milliers de personnes durant des mois au milieu des années 90 en Meuse. Les 6 habitants au kilomètre carré dans le sud-Meuse en deviennent même 4 dans tout le territoire, sans doute pour les besoins stylistiques de désertification. Et ce n’est finalement qu’après un saut temporel occultant 20 ans de lutte mouvementée, que la mobilisation, aux dires de Claude, prend de l’ampleur avec l’arrivée du guide, le gourou qui amènera sa horde zadiste sur les terres de Bure en 2016, l’avocat Etienne Ambroselli.
Vidéo qui revient sur l’intensité de la lutte dans les années 90, « Tous n’ont pas dit oui » : https://www.youtube.com/embed/4bPjPaAACrY
Le hic, c’est que Claude Kaiser n’a pas souvenir d’avoir rencontré Fabian, qu’il n’a jamais eu ces propos qu’on lui prête et que n’importe quel journaliste, aussi mauvais soit-il, savait jusqu’à ce jour dater l’arrivée d’une nouvelle vague de contestation à l’année 2015 à la suite du campement antinucléaire VMC qui s’est tenu alors durant le mois d’août sur 10 jours. Et le pauvre Étienne, à qui on ne peut dénier un profond engagement dans la lutte aux côtés des opposant.e.s au projet Cigéo, ne saurait porter une responsabilité aussi large et collective que celle d’avoir « fait venir des jeunes militants d’autres régions de France, de Belgique et d’Allemagne (…) aux méthodes musclées ». C’est un cas manifeste de delirium pas très mince qui affecte ce pauvre Fabian. Peut-être les amitiés de très nombreuses personnes qui allaient et venaient entre Bure et maints autres endroits, ou peut-être aussi l’empathie sincère de celles et ceux qui lisaient les nouvelles d’un bois occupé en résistance à un défrichement plutôt brutal et inattendu de la part de l’Andra, sont des explications suffisantes à ce que plusieurs centaines d’individus viennent soutenir la lutte à Bure, et que quelques dizaines d’autres conçoivent l’envie de rester, portés par un imaginaire politique, de vie et/ou de lutte ou l’autre. Bref, lorsque « le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été abandonné, des centaines de militants » n’ont pas « plié bagage et pris la direction de Bure ». De fait, éreinté.e.s par une expulsion violente dans l’ouest, par les réalités conflictuelles internes assez intenses et émotionnelles, la plupart n’ont même pas émis l’ombre de l’idée de s’installer dans une autre zone en lutte dans l’est. Un pur fantasme journalistique et politicien qui n’a jamais existé malgré les imprécations des chiens de garde médiatiques aux ordres de la Place Beauvau. Et nul doute que notre ami Fabian remplit certainement ce rôle à merveille en Allemagne, lorsqu’il ne s’improvise pas reporter de guerre dans les zad à l’étranger.
Sur ce, comme toutes les bonnes choses ont une fin, accompagnons Fabian dans sa dernière envolée lyrique finale, le clou du one man show. Entre « la tension qui monte jusqu’à ce qu’apparaissent les drones et hélicoptères », « les seaux d’urine deversés depuis les fenêtres de la maison de la résistance », le rideau tombe sur Mme Michu à sa fenêtre qui jette un regard hagard sur l’absurdité de tout ce décor où l’Andra promettait que des « milliers d’habitants viendraient s’installer, dépenseraient leur argent dans les commerces et utiliseraient les services locaux ». Hélas « les emplois promis ne viennent pas » et si les scientifiques ne trouvent pas « une autre solution pour le stockage des déchets avant le début des travaux, (…) il n’y aura plus qu’une chose à faire : partir ». Ah bah oui, ça pour sûr, entre l’urine, les drones, les flics et l’Andra qui creuse son trou au milieu du désert, Fabian n’a plus qu’à tendre la corde de chanvre à Mme Michu après que sa plume a si bien oeuvré à en dessiner le noeud.
Vous nous direz qu’on aura consacré bien du temps à ce buvard larmoyant et baveux qui sombrera dans l’oubli des mémoires en bien moins de 100000 ans, mais il était difficile de laisser le Courrier International étaler impunément autant d’inepties à la fois dans son hebdomadaire et dans le Hors-Série la France des Invisibles qui l’accompagne. Les Invisibles de la Meuse n’auront pas gagné en visibilité, bien au contraire, Fabian les aura juste traîné consciencieusement dans la boue mêlée d’urine qui lui a servi d’encre pour torcher cet article pour lequel il n’a visiblement fourni aucun effort de rencontrer qui ce soit. Qui que soit d’autre en tous cas que les rares âmes attrapées au détour d’une déambulation hâtive à travers Bure et qu’il aura écouté d’une oreille distraite, tandis qu’il songeait peut-être déjà à soulager son estomac ennuyé chez Maltrud, et à trinquer avec la compagnie en bleu de la tablée voisine. Bure, ses habitant.e.s, ses opposant.e.s, ses fossoyeur-heureuses ne méritaient pas en tous cas qu’un tel mépris manifeste parcoure 917 km jusqu’auprès d’eux.
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