Nous pourrions critiquer les Conseils d’État et Constitutionnel (leur mode de désignation, leurs conflits d’intérêts, leur orientation politique, leur structure et leur raison d’être même…), mais nous préférons nous en tenir à faire remarquer que face à un tel dossier et ses promoteurs, l’Andra et l’État, comment ne pas leur en vouloir de n’avoir pas saisi toutes les graves lacunes et ne donner aucun poids à la critique, même experte, de la société civile que nous représentions ici face à Cigéo, projet de méga poubelle radioactive souterraine.
Avons-nous besoin de reprendre dans le détail tous les arguments circonstanciés et étayés que nous avons fournis dans nos recours et ses annexes ? Nous les avons déjà maintes fois présentés et expliqués sur tous les tons et toutes les coutures ici(1) entre autres(2).
Nous préférons commencer par répondre aux fanfaronnades de l’Andra qui a déjà claironné et dégainé une campagne de « com » kitch à souhait suite à la décision du Conseil Constitutionnel. Dans une stratégie de déculpabilisation de nos générations passées et présentes, bien consciente de l’extrême dangerosité de ce qu’elle dissimule dans les profondeurs de la terre et essaime en surface, voici en résumé ce que l’équipe communicante de l’Andra nous a pondu :
« Salut gentilles générations futures, on vous aura pourri votre monde de la couche d’ozone à la croûte terrestre, mais comme on est sympa et bienveillant, on vous a laissé des messages pour vous prévenir ».
Il semble que nous soyons entré⋅es dans l’ère du cynisme débridé, et que l’Andra et le gouvernement français en ont la palme.
Commençons donc par faire redescendre l’Andra de sa bulle virtuelle pour la faire revenir à la réalité : suite à la décision du Conseil Constitutionnel à notre Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) sur le droit des générations futures que l’Andra prétend vouloir protéger, nous vous invitons à lire notre réponse à son communiqué dans cet article(3).
Voici ce que l’Andra a réussi à faire gober aux Conseils : qu’il est bien normal qu’elle avance à tâtons sur le plus gros projet militaro-industriel nucléaire d’Europe et des prochains siècles.
Face à ce constat, pourtant, notre raison nous amène immédiatement à conclure de ne pas prendre le risque de se lancer si on n’est pas sûr de réussir vu les dangers encourus.
Mais l’Andra, s’étant adjoint les services de sociologues, communicants et autres artistes, elle inverse les arguments en prétendant, au contraire, être très précautionneuse d’amener les preuves au fur et à mesure de ses avancées et des évènements (d’autres auraient ajouté « en fonction de l’épaisseur des courants d’air »).
À coups de millions, sous couvert de blouse scientifique et étatique, elle parvient à entraîner dans sa logique fallacieuse quasi tous les juges – même de bonne foi – à confirmer ses sophismes.
Il suffit d’aller sur son site pour se rendre compte que l’Andra est avant tout une « agence de com » qui vient combler par des mécanismes rhétoriques les incertitudes, les inexactitudes, pire les preuves lacunaires que ses ingénieurs tentent, tant bien que mal et avec toujours plus de retard, d’apporter.
L’Andra a compris depuis longtemps qu’elle n’est pas là pour prouver que son projet est sûr, car, sur des temps aussi longs et pour des déchets aussi dangereux, c’est une tâche scientifiquement impossible, une « impossibilité épistémique », bref, un non-sens, comme le démontre magistralement une thèse qu’elle a elle-même commandée (4).
Alors, elle s’attache depuis des années non plus à prouver, mais à faire accepter son incapacité à prouver que Cigéo est réalisable de manière sûre par des effets de manches, de jeux de com, de gadgets à destination des enfants et d’un directeur-VRP-beau-parleur qui répète sans âme des paroles faussement rassurantes qui n’engagent à rien.
En résumé, l’Andra a réussi à peindre de vertus scientifiques le fait qu’elle est dans l’incapacité de fournir des évaluations précises malgré un dossier de Déclaration d’Utilité Publique de 6.000 pages et presque 30 ans d’études, mais que, toute charitable qu’elle est, elle fera de son mieux pour analyser et parer, au fur et à mesure de la construction de Cigéo, toutes les conséquences de ses imprécisions :
impacts environnementaux et radiologiques sur l’eau, les sols et les sous-sols, les forêts, l’agriculture, l’air, la santé des riverains et riveraines,
coût et potentiels financements, charges économiques présentes et à venir,
inventaire exact des déchets radioactifs, donc le dimensionnement final du stockage,
possible récupérabilité des colis de déchets radioactifs par les générations présentes comme futures.
Et coup de poudre magique sur le tout pour finir de rassurer nos juges des Conseils : le public « participe » bien aux décisions, alors tout ne saurait qu’être conforme. Oserait-on ajouter « Amen » ?
La perversion des mots pour voiler la face réelle de Cigéo est à son comble : le verbe « participer » prend des allures démocratiques et juridiques alors que, pourtant, des enquêtes publiques aux conventions citoyennes, il n’est plus à prouver que ces consultations ne sont que de la poudre aux yeux, une « démocratie participative » bidon et que l’avis de la population n’est jamais pris au sérieux par les institutions, quand bien même cette population s’attacherait les services d’expert⋅es indépendant⋅es.
Mais comment pourrait-il en être autrement lorsque la décision sur le projet est séparée du débat ? On peut bien consulter « le public », on sait qu’en définitive, la décision sera prise par des gens sérieux : le préfet, le ministre, ou, en l’occurrence, le président… Confirmant ainsi l’adage : si la dictature c’est « ferme ta gueule », la Macronie c’est « cause toujours ».
Nous utilisons les outils juridiques dans notre lutte contre Cigéo même si nous savons que ceux-ci sont créés et aux mains de ceux-là mêmes qui sont nos adversaires.
Nous n’avions quasiment aucune chance de convaincre les juges des Conseils mais cette perspective ne nous a jamais arrêté⋅es, et on nous aurait reproché de ne pas avoir essayé.
Nous avons donc réuni des personnes expertes pour étudier le dossier, des avocat·es parmi les meilleur·es. Nous avons fait des appels à dons pour assurer le paiement a minima de ce travail qui relève bien souvent du bénévolat. Nous nous sommes réuni⋅es, nous avons travaillé des heures, des week-ends entiers.
Nous avons été en lien avec les habitant·es et les élu⋅es locaux pour leur expliquer notre démarche et nos arguments. Certain⋅es riverain⋅es du projet ont accepté de rejoindre cette guérilla juridique qu’ils et elles comparent souvent au pot de terre contre le pot de fer d’un air un peu fataliste.
Et tout cela pendant 3 ans. Pour produire in fine un recours de plusieurs centaines de pages, étayé scientifiquement et juridiquement, très complet, dont toute notre équipe est fière.
Mais comment faire face aux mensonges subventionnés à coup de millions d’€ et diffusés en prime time au JT ? Comment faire face à l’aveuglement et à la surdité dès qu’il s’agit de nos arguments, balayés d’un revers de la main simplement parce qu’ils sont les nôtres ?
Peut-on attendre des Conseils qu’ils prennent autant de temps et de soins que nous l’avons fait pendant 3 ans pour étudier en profondeur ce dossier de 46 kg ?
Peut-on leur demander de ne pas s’appuyer seulement sur les dires du promoteur lui-même, estampillés par l’État, mais d’examiner sérieusement d’autres avis indépendants, voire même demander des contre-expertises ?
Peut-on attendre de ces femmes et hommes des Conseils, du haut de leur statut et de leur place dans les sphères du pouvoir, d’avoir l’honnêteté du doute et de ne pas graver dans le marbre vitrifié un projet aussi mal ficelé ?
Reste que nous sommes dans un microcosme : celui du Corps des Mines, des juges et des politiques trop souvent complaisants, parfois corrompus, qui dévoient les principes républicains avec habileté pour leurs propres intérêts électoralistes et financiers.
D’autres batailles auront lieu à un autre niveau : celui d’une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne dont le droit environnemental ne tolère guère qu’un de ses États membres saucissonne un projet aussi monstrueux pour dissimuler son impact global et entier, et nous le faire avaler en tranches.
Pour finir, un message adressé à l’Andra qui va une fois de plus détourner le sens des mots dans un usage proprement émétique de la langue de bois : Non, Cigéo n’est toujours pas « validé ». Il ne s’agissait ici que de valider la possibilité pour l’Andra d’exproprier et d’expulser les récalcitrant⋅es qui rechigneraient encore à lui vendre leurs champs et leurs maisons.
Mais il faut encore que le projet passe les étapes de l’autorisation de création que, sans désarmer, nous attaquerons par tous moyens le moment venu, sans guère plus d’illusions, mais au moins, nous aussi, nous aurons averti les générations présentes et laissé des messages aux générations futures, gravés dans le marbre des archives de la République et de ses Conseils.
Nous aurons et nous continuerons de tout tenter pour empêcher ce projet aberrant et démentiel au regard de sa dangerosité, de sa toxicité et de sa longévité.
Signataires :
Angélique Huguin, Coordinatrice des Fronts Contre Cigéo
Juliette Geoffroy, Coordinatrice des Fronts Contre Cigéo
Des personnes requérantes riveraines :
Barilliot Laurent
Biro Catherine
Labat Christian
Labat Danielle
Labat Michel
Lafrogne Claudine
Perrin Jean-Claude
Robert Bernard
Robert Françoise
Tincelin Adel
Des organisations requérantes :
ADN 26-07
ADN 34
Asodedra
Attac Vosges
Bure Zone Libre
Cacendr
Cedra
Confédération paysanne Grand Est
Confédération paysanne 54
Confédération paysanne 55
Confédération paysanne 88
Global Chance
Les Habitants Vigilants de Gondrecourt
Les Semeuses
Stop Transports-Halte au Nucléaire
Tchernoblaye
(1) http://burestop.free.fr/spip/
(2) https://coordstopcigeo.noblogs.org/
(3) https://cacendr.noblogs.org/?p=559
Télécharger la version pdf ici.
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