À l’attention du service Ressources Humaines de Fives Nordon (filiale tuyauterie du groupe Fives)
Madame, Monsieur,
Dans mes recherches de nouvelles opportunités professionnelles, j’ai ouï dire que les annonces de relance du nucléaire boostaient plus que jamais votre entreprise. Alors que quelques années auparavant, elle était en nette baisse d’activité à cause des tristounettes annonces de fermetures de réacteurs nucléaires, concomitantes à la catastrophe de Fukushima.
Suite à cela, votre entreprise Fives Nordon a pointé le nez vers le combustible nucléaire, et a élargi le porte-feuille de la boîte avec le rachat de l’entreprise ACCP à la Hague (alors en redressement judiciaire), ce qui fait que la boîte est aussi concernée par les projets de tuyauterie et de chaudronnerie des nouvelles piscines de stockage combustibles. Alors que votre entreprise était déjà présente sur l’éternel chantier de l’EPR de Flamanville, elle participe aussi à la construction de nouvelles centrales et EPR en Finlande, Chine, Royaume-Uni, et même en Arabie Saoudite. Chouette, alors !
C’est suite aux annonces de relance du nucléaire, et aux appels d’offre remportés concernant l’ingénierie de la salle des machines des futurs EPR2 (s’ils arrivent un jour !) que votre entreprise a investi 40 millions d’euros [1] sur ses sites et lance le recrutement de près de 600 salarié.es dans le domaine de la tuyauterie et de la chaudronnerie nucléaire, dans ses ateliers, dont une partie (et le siège social) est situé 78 Avenue du 20e Corps à Nancy.
Plus largement, j’ai vu que la filière nucléaire compte aujourd’hui plus de 3 000 entreprises [2] et plus de 220 000 salarié.es, dont près de 20 000 dans le Grand Est. Selon le ministre de l’Economie, il en faudra 10 000 à 15 000 supplémentaires par an d’ici 2030 pour venir à bout des chantiers prévus par l’exécutif. C’est dans ce contexte florissant et plein de promesses d’emplois que je souhaiterais rejoindre votre entreprise.
En me renseignant, j’ai également appris le rayonnement de Fives Nordon en Lorraine, en tant que lauréat du Pass Nucléaire [3]. Votre grandiose entreprise forme et recrute depuis 2022, via les nouvelles formations de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie) de Lorraine à Maxéville [4], dans la soudure ou la tuyauterie nucléaire.
Et même qu’en novembre dernier, l’ancienne députée macroniste nancéienne, Carole Grandjean, et qui était alors ministre de l’enseignement et de la formation pro, est venue en personne encourager l’initiative, pleurnichant le manque d’effectifs actuels pour les besoins imminents de l’industrie nucléaire ! Quelle ne fut pas ma joie d’apprendre qu’elle encourageait même la formation et le recrutement des femmes dans cette filière industrielle !
En tout cas, heureusement que le plan France Relance est là pour aligner les chèques, et les journalistes à la queue-leu-leu pour vanter la propagande de recrutement du bon p’tit soldat Fives Nordon ! C’est d’ailleurs grâce à eux que j’ai découvert votre entreprise, lors d’une campagne de communication aux petits oignons relayée dans plusieurs médias régionaux, pour promouvoir la formation dans le nucléaire, avec un véritable sens du dévouement patriotique.
Pour convaincre plus d’étudiant.es et de lycéen.nes de rejoindre cette filière, le gouvernement a également lancé des bourses de 600€ mensuels attribuées par l’Université des Métiers du Nucléaire [5]. Si c’est pas généreux, ça !
Et y a pas qu’à Maxéville qu’on forme dans le nucléaire dans le Grand Est ! À l’ombre de l’UIMM, redorée par le talent et l’aveuglement de vos formateurs, on trouve aussi les formations de Chooz, via le GRETA-CFA des Ardennes, à St Dizier, au lycée pro Blaise Pascal, à Thionville à la briquerie, et même au lycée pro Loritz à Nancy. Parce que oui, va bien falloir les former les précaires qui vont aller se frotter aux radiations dans la maintenance des installations nucléaires, que ce soit dans les centrales prolongées dans le cadre du Grand Carénage (durée de vie de 60 ans) ou dans les futures projets lancés démocratiquement par notre doux gouvernement.
On peut même imaginer que s’il y a besoin de soudeurs à Bure, à 80 km de Nancy, là où l’Etat veut enfouir quelques 83 000 mètres cubes de déchets radioactifs dans un trou, c’est p’têt bien les salarié.es de Fives Nordon qui vont s’y coller !
Pour toutes ces missions, disons-le, il faut mettre les moyens pour le recrutement, parce que ça se bouscule pas au portillon ! J’avais d’ailleurs plusieurs fois entendu parler de Nordon Fives, entreprise de renom, lors des forum des métiers dans le nucléaire, comme celui organisé par la centrale de Cattenom en mars dernier, et plus récemment, ce 6 février 2024 lors de la 2ème journée des métiers du nucléaire à l’espace technologique de l’ANDRA à Bure-Saudron, où j’étais.
Pour moi, travailler aujourd’hui dans l’industrie nucléaire, c’est participer à redorer le blason et la grandeur de la France, sur un plan géopolitique avec l’utilisation du nucléaire à des fins militaires, grâce à l’usine de retraitement de la Hague et aux nombreux arsenaux et usines dans le secteur du nucléaire militaire (Cherbourg, Toulon, Brest,..). Cette énergie est propre, décarbonée (enfin, sauf au début, et à la fin, et aussi un peu pendant), et souveraine grâce à l’import et l’exploitation de mines d’uranium à l’autre bout du monde (et grâce à l’exportation de sa pollution dans les pays pauvres) ! C’est un atout majeur dans le développement industriel et militaire de la France et dans la poursuite de la sacro-sainte croissance que nous chérissons tous et toutes.
Passé outre les conditions sanitaires des travailleurs du nucléaire et des habitant.es à proximité des mines d’uranium, des centrales, des centres de retraitement, des diverses poubelles, et des transports de matières et de déchets radioactifs d’un bout à l’autre de la France, etc… passé outre la pollution des fleuves et des terres à proximité de tout ce raffut, et passé outre encore les risques d’accidents nucléaires qui pourraient se reproduire tels que Three Mile Island, Tchernobyl ou Fukushima, il va de soi qu’il faut relancer cette industrie pleine de vie, de joie et d’espoir !
Ayant tout cela en tête, et par la présente, je souhaite postuler à un poste de soudeur dans le nucléaire, auprès de Fives Nordon. En tant que travailleur sous-traitant, je serai prêt.e à recevoir jusqu’à 80% des doses de radioactivité du parc nucléaire français, sans pour autant bénéficier d’un suivi médical adéquat. Pas de souci pour une leucémie ou un cancer de la thyroïde, je suis un candidat-clef pour une entreprise comme la vôtre.
D’un tempérament aventurier, je saurai affronter les défis que représente la relance du nucléaire, et saurai répondre à l’accélération des cadences dues à la mise en concurrence des entreprises sous-traitantes dans le secteur. Dans ces conditions, je tenterai tant bien que mal d’effectuer correctement l’ensemble des gestes nécessaires pour garantir la sûreté des installations. Pour y parvenir, la fusion en cours entre l’ASN et l’IRSN saura jeter un voile obscur sur ces conditions de travail dégradantes, ainsi que sur les risques d’accident nucléaire pesant, en conséquence, sur l’ensemble de la population. Au cas où, j’ai bien des capsules d’iode dans ma boîte à pharmacie !
Enfin, pour garantir une meilleure cohésion d’équipe au sein de l’entreprise, il va de soi que je saurai me taire et rester docile, et que je ne dénoncerai pas les conditions de mon travail, au risque d’une répression syndicale, comme ça a été le cas dernièrement pour Gilles Renault, accusé d’avoir trop parlé et mis à pied par sa hiérarchie [6] (filiale d’Orano, Tricastin, 2020), Laurent, dont la carrière a été stoppée pour discrimination syndicale [7] (Sud Energie à EDF, Belleville-sur-Loire), ou encore les travailleurs de RTE mis en garde à vue à la DGSI en 2022 [8]. Bref, j’aimerais vous rejoindre avec grand plaisir, Fives Nordon !
Il n’est pas nécessaire de me recontacter, vos adresses et votre agenda sont bien connues. Qu’il s’agisse de votre entreprise, d’une école de formation dans le nucléaire, ou de tout autre acteur de l’industrie du désastre, nous saurons vous recontacter par quelque moyen que ce soit.
À bientôt, Fives Nordon.
PS : en copie, l’UIMM de Maxéville, ainsi qu’Eric Molodtzoff de France 3, Guillaume Decourt et Pascal Salciarini de l’Est Républicain, Mickaël Demeaux du Républicain Lorrain, et ici-c-nancy, à l’origine d’articles élogieux et publicitaires vis-à-vis de Fives Nordon et de l’industrie nucléaire. Et en bonus également, quelques courriers ont été envoyés aux boîtes d’interim, formations et centrales nucléaires de la région.