À la question « Quelle quantité de déchets médicaux avez-vous vue ? », le témoin répond : « Plusieurs tonnes. » Un ancien mineur se souvient d’inscriptions sur certains big bags qui indiquaient que leur « contenu était des déchets hospitaliers », ajoutant qu’il lui « semble qu’ils provenaient des hôpitaux de Mulhouse ».
Plus globalement, la plupart des témoins reconnaissent qu’ils n’ont aucune idée de la composition exacte des produits qu’ils stockaient, comme ils étaient dans des big bags ou des fûts opaques. Sur un lot de 20 sacs apportés par un camion, un seul test était effectué sur un échantillon à la surface d’un colis. « [Comme] le prélèvement qu’on faisait correspondait à ce qu’on attendait, je suis incapable de dire si les autres fûts de cette livraison étaient similaires », constate un employé de l’époque.
Les investigations stoppées après quelques auditions
Surtout, les sacs contenant de l’amiante n’étaient pas du tout analysés à leur arrivée, car Stocamine ne disposait pas du matériel nécessaire. « Il pouvait y avoir n’importe quoi dedans », avoue un ancien salarié. Un industriel mal intentionné n’avait qu’à dissimuler des déchets non conformes dans des sacs étiquetés amiante. Les produits inflammables qui ont causé l’incendie étaient d’ailleurs rentrés de cette manière dans la décharge.
Un ancien salarié décrit enfin une tentative de dissimulation de faits : « Suite à l’incendie de 2002, la déchéthèque [contenant le registre des déchets – ndlr] a été forcée par la direction et certains chefs de l’époque. Des documents papier et informatiques ont disparu. »
Plus de deux ans après la plainte, en octobre 2023, la procureure de la République a finalement décidé de classer l’affaire pour prescription, arguant que les déchets ont été stockés entre 1999 et 2002. Les gendarmes n’ont donc pas pu aller plus loin, malgré un début d’enquête prometteur.
Me François Zind, avocat d’Alsace Nature, regrette que les investigations aient été ainsi stoppées : « Vu les témoignages qu’ils avaient, ils auraient pu justifier des tests sur des déchets dans la mine pour vérifier qu’ils correspondent à leur déclaration. J’avais aussi proposé qu’ils interrogent des anciens salariés de Saar Montan, l’entreprise allemande qui a réalisé l’extraction des déchets mercuriels entre 2014 et 2017. Le but, c’est qu’il y ait plus de transparence. Là, il n’y en a aucune. C’est particulièrement problématique quand on parle de préservation de la nappe phréatique. »
L’avocat est bien conscient que si la présence de nombreux déchets interdits était confirmée, le plan de confinement de la décharge par des barrages en béton serait discrédité. Lorsque l’État affirme maîtriser le risque pour la nappe phréatique engendré par un enfouissement définitif, il compte sur une connaissance précise des produits stockés.
Contacté pour évoquer les raisons de ce classement précipité, le parquet de Strasbourg n’a pas donné suite à la sollicitation de Rue89 Strasbourg.
Alsace Nature conteste la prescription
L’avocat d’Alsace Nature contestera la prescription des faits auprès du procureur général près la cour d’appel de Colmar en mars. Selon lui, il s’agit d’une infraction dissimulée. Or, dans ces cas, « le point de départ de la prescription court à compter du jour où le dépôt irrégulier a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice des poursuites », d’après un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 avril 2022.
Pour François Zind, le délai ne commencerait donc pas à courir entre 1999 et 2002, mais au moment de la publication de l’enquête de Rue89 Strasbourg, en avril 2021. Il ajoute que les faits entrent dans le cadre d’une infraction continue qui a toujours lieu aujourd’hui, car les déchets irréguliers, s’il y en a, sont encore dans la mine.
Parallèlement, le Conseil d’État a autorisé le début des travaux de confinement le 16 février. L’avocat d’Alsace Nature étudie « toutes les voies de droit, y compris la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme, pour empêcher le début des travaux de confinement ». Si le procureur général près la cour d’appel de Colmar relançait l’enquête sur les déchets irréguliers, le juge des libertés pourrait être saisi afin de suspendre l’autorisation des travaux.