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Début août, l’Andra, l’agence de gestion des déchets radioactifs, a déposé la demande de déclaration d’utilité publique du projet Cigéo de stockage des déchets radioactifs. Si elle était acceptée, la DUP ouvrirait la voie aux expropriations. Mais des écueils, notamment politiques, encombrent le chemin.
L’action s’est faite sans bruit, dans la torpeur de l’été. Le 3 août dernier, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a posé une pierre de plus dans l’édifice du plus grand projet industriel européen, le centre de stockage Cigéo, qui vise à enfouir, à 500 mètres sous terre, 85.000 m² de déchets radioactifs, à Bure, dans la Meuse.
L’agence a déposé sa demande de déclaration d’utilité publique, plus communément appelée DUP. Le dossier est, en ce moment, instruit par les services de l’État au sein du ministère de la Transition écologique et pourrait très prochainement se retrouver sur le bureau de la ministre, Barbara Pompili.
L’enjeu est de taille. À terme, si l’État reconnaît l’utilité publique de Cigéo, l’Andra pourra procéder à des expropriations et accroître son emprise foncière, qui est déjà très grande, dans la région [voir la carte ci-dessous]. Des chantiers de terrassement, des fouilles archéologiques et des défrichements pourraient alors commencer. « La DUP est le déclencheur des travaux préalables », prévenait ainsi en 2019 le directeur du site, David Mazoyer, dans le journal l’Est républicain.
En soi, le dépôt de la DUP n’a rien d’une surprise. « La rumeur circulait déjà depuis plusieurs mois sans être validée ni par le gouvernement ni par l’Andra », dit Charlotte Mijeon, du réseau Sortir du nucléaire. L’Agence est même en retard par rapport à son calendrier. À l’origine, la loi de 2006 sur « la gestion durable des matières et déchets radioactifs » prévoyait un dépôt en 2015 et le commencement des travaux dès 2020. Au fil des années, face aux difficultés techniques rencontrées et à la montée de l’opposition, les délais ont explosé. Aujourd’hui, l’Andra pense débuter les travaux d’ici 2023–2024 et mettre en service le site d’enfouissement en 2035 avec l’arrivée des premiers colis radioactifs.
L’instruction de la DUP va durer encore plusieurs mois, le temps que les services administratifs et la ministre de la Transition écologique étudient la recevabilité du dossier. En clair, ils vont évaluer si l’atteinte à la propriété provoquée par les expropriations est justifiée et non disproportionnée : une décision juridique mais aussi hautement politique.
L’Andra espère obtenir une réponse d’ici le printemps 2021. Si le ministère valide sa demande, une enquête publique sera engagée en Meuse et en Haute-Marne et la population découvrira alors l’étendue des expropriations à venir nécessaires au projet Cigéo. Pour l’instant, aucune information n’a été dévoilée.
L’examen de la DUP et son enquête publique pourront durer entre 18 mois et deux ans. En parallèle, l’Andra déposera aussi une demande d’autorisation de chantier (DAC), un dossier dans lequel elle devra démontrer la faisabilité technique et la sûreté du stockage en profondeur des déchets radioactifs. L’autorisation de chantier, elle, ne sera obtenue au mieux qu’en 2023 ou 2024 selon les prévisions de l’Andra.
Le président de France nature environnement, Arnaud Schwartz, critique ce « calendrier illogique et non éthique » : « On demande de déclarer d’utilité publique un projet dont nous n’avons encore aucune preuve qu’il sera bien géré. On va lancer des expropriations, virer des gens de chez eux alors que la DAC ne sera pas délivrée et que l’Andra n’aura pas répondu aux nombreux problèmes techniques qui sont soulevés depuis des années. »
Cet été, France nature environnement a notamment publié une étude géologique qui remet en cause la qualité du sol censé retenir la radioactivité. En 2018, l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) avait aussi pointé du doigt le risque d’incendie provoqué par les déchets bitumineux, qui représentent 18 % des colis radioactifs de Cigéo. À ce stade, on ne sait toujours pas comment ils seront gérés.
Reporterre a interrogé l’Andra pour avoir des précisions sur cette nouvelle étape. Mais le quotidien de l’écologie a reçu une fin de non-recevoir. Pareil au ministère de la Transition écologique. Les autorités ont été particulièrement discrètes sur le dépôt de la DUP. Aucune déclaration ni communiqué de presse n’a été fait. Seule une dépêche AFP a officialisé son dépôt, un mois et demi après, le 10 septembre.
« L’Andra, d’ordinaire si prompte à communiquer a été subitement silencieuse », fait mine de s’étonner Juliette Geoffroy de l’association antinucléaire Cedra. Au sein de l’agence, un malaise semble régner. « La DUP va ouvrir la voie aux expropriations, or l’Andra a peur que cela entraîne un surcroît de mobilisation locale », pense Laura Hameaux, du réseau Sortir du nucléaire.
Depuis des années, l’agence a tout fait pour les éviter. Les expropriations sont coûteuses en temps et en image. Elle a donc privilégié les échanges à l’amiable et proposé aux riverains de son laboratoire des terres ailleurs en Meuse ou en Haute-Marne.
Au fil des années, elle a acquis un véritable empire foncier. C’est même l’un des plus grands propriétaires de la région. Selon un document que Reporterre a pu se procurer, elle détenait, au 30 juin 2020, près de 2.600 hectares de forêts et de terres agricoles. Le coût total est considérable. Alors même que le chantier n’a pas encore démarré et que des problèmes techniques subsistent, l’Andra a déjà dépensé plus de 12,6 millions d’euros pour acquérir des terrains partout dans les deux départements. Certains sont même situés à plus de 40 kilomètres de Bure.
L’Agence n’a pas non plus hésité à ficher les habitants. En 2018, un document interne piraté par des opposants détaillaient les parcelles agricoles et forestières concernées par l’emprise du chantier, avec les noms de leur propriétaire et de leur exploitant, assortis de la mention « maîtrisé », « maîtrisable » ou « difficile à maîtriser ». Des qualificatifs dont on comprend qu’ils s’appliquent non seulement au contrôle du foncier, mais aussi aux détenteurs des terrains, identifiés comme étant prêts ou non à céder ces parcelles.
« Mais l’Andra ne pourra pas tout acquérir à l’amiable, prévient Jean-François Bodenreider, le président de l’association les Habitants vigilants de Gondrecourt-le-Château. Certains riverains ne veulent pas céder leur terre malgré les prix alléchants qu’on leur propose et les opposants ont acheté collectivement des parcelles pour ralentir les travaux. La bataille s’annonce importante. On ne reculera pas. »
Un autre enjeu pourrait aussi expliquer la discrétion de l’Andra lors du dépôt de la DUP. La nomination récente de Barbara Pompili au ministère de la Transition écologique et de Bérangère Abba comme secrétaire d’État à la biodiversité pourrait compliquer la tâche de l’agence. Les deux personnalités ont affiché à plusieurs reprises leur opposition au projet Cigéo et à l’enfouissement en profondeur des déchets radioactifs.
En 2015, Barbara Pompili avait dénoncé « le déni démocratique » du processus d’élaboration du projet Cigéo, qu’elle qualifiait de « poubelle nucléaire ». En 2018, elle déclarait au Journal de l’environnement « être toujours très opposée à Cigéo ». Présidente de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité nucléaires, elle avait relevé dans son rapport « le coût imprévisible » de Cigéo et « des lacunes en matière de sûreté ». Elle préconisait de poursuivre l’étude de solutions de substitution, dont l’entreposage de longue durée en subsurface.
Quant à Bérangère Abba, la nouvelle secrétaire d’État à la biodiversité, elle s’est affichée en photo avec une pancarte « Cigéo Bure, je dis non » en 2014. Elle avait adhéré un temps à l’association antinucléaire Cedra avant de finalement rejoindre le conseil d’administration de l’Andra en 2019. Interrogée par Reporterre à cette occasion, elle affirmait rester « dubitative » par rapport au projet.
Je me suis toujours interrogée sur la notion de réversibilité, les coûts et l’éthique de ce mode de gestion »
Au sein du milieu écologiste et de l’administration, des rumeurs circulent. Une option pourrait très bien se dessiner : la ministre de la Transition écologique pourrait faire traîner l’instruction du dossier jusqu’à la prochaine présidentielle, en 2022. À moins que, face aux lobbies et à la pression du pouvoir, elle ait déjà changé de position, comme Nicolas Hulot à son époque.
21/09/2020
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