Un nouveau projet du gouvernement est en cours pour réduire la quantité de déchets pour eux à gérer, pouvoir réutiliser des métaux utiliser dans les centrales nucléaires dans nos vies quotidiennes. Une façon pour eux d’avoir moins de déchets à gérer dans le contexte de prolongement du nucléaire, pour nous d’augmenter notre exposition à la radioactivité.
La CRIIRAD, une commission de recherche et d’information sur la radioactivité indépendante des nucléaocrate, a publié un certain nombre d’argumentaires et de documents techniques que l’on peut retrouver sur leur page. A la suite nous reproduisons leur synthèse d’analyse l’intégralité ici en pdf.
Le gouvernement s’apprête à lever l’interdiction de recycler dans le domaine public les déchets radioactifs issus du démantèlement des installations nucléaires. Après traitement dans une installation spécifique et sous réserve que leur contamination résiduelle ne dépasse les «seuils de libération» fixés par la réglementation, les matériaux concernés ne seront plus considérés comme radioactifs et ne seront plus soumis à aucun contrôle. La première catégorie à pouvoir déroger à l’interdiction est celle des déchets métalliques (acier, aluminium, cuivre, etc.).
Cette décision fait suite aux rapports, débats et consultations qui se sont multipliés au cours des dernières années et qui ont expliqué au public que:
1/ la radioactivité ajoutée par le recyclage des matériaux contaminés resterait très inférieure à la radioactivité naturelle, elle-même sans danger et omniprésente dans notre environnement;
2/ les doses de rayonnement induites par les ajouts de radioactivité seraient très faibles (≤10 μSv/an) et totalement inoffensives;
3/ le procédé de traitement des déchets radioactifs serait efficace, parfaitement contrôlé et garantirait à 100% le respect des seuils de libération;
4/ le recyclage des matériaux contaminés issus de opérations de démantèlement permettrait de préserver les ressources naturelles ;
5/ la décision de «libérer» les substances dont l’activité ne dépasse pas les limites sortirait la France d’un isolement préjudiciable au sein de l’Union Européenne.
Les arguments ont porté et se retrouvent d’abondance dans les avis des participants aux débats et consultations. L’analyse des documents révèle un triple problème: 1/ une participation extrêmement faible, 2/ une surreprésentation du lobby nucléaire et 3/ des informations incomplètes et biaisées qui ne permettent pas de rendre l’avis éclairé revendiqué par les organisateurs. Tout a été fait pour occulter les problèmes au lieu de les mettre en lumière
Ainsi que le démontre l’étude préliminaire de la CRIIRAD, il ne s’agissait pas de rechercher la meilleure option du point de vue de l’intérêt général mais de donner un habillage démocratique à des décisions prises par ailleurs pour préserver les intérêts de l’industrie nucléaire. Un travail de recherche approfondi et des contre-expertises indépendantes sont indispensables avant la prise de décision. Les développements ci-après ne s’y substituent pas mais laissent entrevoir ce que cache la façade rassurante des «informations» officielles.
1. La radioactivité naturelle a été abondamment utilisée pour justifier les ajouts anthropiques de radioactivité, mais son impact sanitaire a été systématiquement passé sous silence (de l’ordre de 8000 cancers mortels par an en France d’après les modèles officiels, très probablement minorants, et sans compter les maladies génétiques, les cancers guérissables et les autres pathologies). De toute façon, se référerà des risques naturels pour juger de l’acceptabilité des risques induits par les activités humaines soulève de sérieux problèmes éthiques.
2. Contrairement à ce qui est systématiquement affirmé, les seuils de libération ne garantissent pas forcément le respect de la limite de dose(10 μSv/an). Une analyse critique approfondie est indispensable pour vérifier le caractère exhaustif des scénarios d’exposition imaginés par les experts et la sélection effective des plus scénarios les plus pénalisants. Les vérifications auxquelles a procédé la CRIIRAD à partir des rapports officiels relatifs aux seuils d’exemption et de libération montrent que tel n’est pas le cas. Des configurations dites de faible probabilité peuvent conduire à des doses 10 fois, 100 fois, 300 fois supérieures à ce qui est annoncé. Il faut aussi lever le secret sur les seuils retenus pour les isotopes de l’uranium: alors qu’ils représentent l’essentiel de la contamination des déchets de démantèlement d’Eurodif (le plus gros gisement d’acier à recycler), ils ne figurent pas dans la liste établie par les autorités!
3. L’impact sanitaire des faibles doses est méconnu et sous-évalué. La décision de libérer de tout contrôle des matériaux contaminés va aboutir à disséminer, à plus ou moins court terme et de façon irréversible, des radio nucléides dans les lieux de vie et de travail. Il faut, en préalable absolu, mettre à jour les normes de radioprotection: 1/ recalculer les effets reconnus (mais sous-évalués) des faibles doses de rayonnement, tant pour les cancers que les atteintes génétiques; 2/ intégrer les effets prouvés, mais encore exclus du détriment officiel(cardiopathies par ex.) ; 3/ prendre en compte les effets incompatibles avec le modèle officiel (effets de proximité, instabilité génomique, etc.) car le doute ne doit plus profiter aux pollueurs mais aux populations.Les risques ont été constamment sous-évalués. En 50 ans, la limite de dose du public a été abaisse de 15mSv/an à 5mSv/an,puis à 1 mSv/an,le risque de cancer radioinduit étant bien plus élevé que prévu. Et le processus est loin d’être stabilisé (cf. travaux sur le radon, la cataracte, les déficits cognitifs, etc.).
4.La dispersion des matériaux contaminés sera,à court ou moyen terme, irréversible. Chacun connaît les coûts et difficultés de récupération des objets radioactifs autorisés à tort dans le passé (montres au radium, paratonnerres et parasurtenseurs radioactifs, etc.). Pour les matériaux radioactifs recyclés à tort, le retour en arrière ne sera pas possible: les projets réglementaires limitent la traçabilité aux portes de l’installation de traitement, avant commercialisation des lots contaminés. Les autorités seront démunies face à la découverte d’effets sanitaires accrus ou inédits.
5. Des décisions clefs sont laissées à l’appréciation de l’exploitant de l’ITMF (installation de traitement des métaux par fusion),et notamment les critères d’acceptation des déchets et les moyens de leur contrôle.Les débats étaient ciblés sur le traitement pour recyclage des seuls déchets radioactifs de catégorie TFA (très faible activité), certains intervenants laissant même croire qu’il ne concernerait que la partie la moins dangereuse de cette catégorie(TTFA). Or,toute allusion aux déchets TFA a disparu des projets réglementaires: la définition des critères d’éligibilité est abandonnée au pouvoir discrétionnaire de l’exploitant!La fusion pourrait donc s’appliquer à des déchets bien plus radioactifs qu’annoncé. Le risque de conflit d’intérêt est d’autant plus grand que l’exploitant de l’ITMF sera probablement Cyclife, une filiale 100% d’EDF, l’un des plus gros producteurs de déchetsradioactifs !
6. L’efficacité des contrôles radiologiques est loin d’être garantieet nombre de radionucléides résistent au procédé de décontamination.Les problèmes concernent: 1/ les contrôles à réception (qui reposeraient largement sur les spectres de contamination des producteurs de déchets), 2/ les contrôles sur le métal en fusion (du fait des contraintes techniques et temporelles et de la présenced’inclusions), 3/ la vérification de la conformité de lingots avant commercialisation: sans recherche exhaustiveet effectivedes radionucléides et sans prise en compte des limites de détection, le respect des seuils de libération ne saurait être garanti.
7. Le dossier fait l’impasse sur les opérations les plus périlleuses qu’il faut,au contraire,étudier en priorité. Les études ont ainsi été ciblées sur les grands lots dits homogènes (diffuseurs de l’usine d’enrichissement d’Eurodif et générateurs de vapeur des centrales nucléaires d’EDF) alors queles exploitants exigent de pouvoir traiter le «vrac» bien plus délicat à contrôler: 260000 t d’après un document Orano/EDF de 2019 (mais d’autres rapports mentionnent des quantités encore supérieures). Une fois l’installation autorisée, il ne sera plus temps d’identifier des impossibilités techniques. Il faudra rentabiliser l’investissement et préserver les emplois, tant pis pour les risques.
8. Le recyclage des matériaux contaminés dans les filières conventionnelles ne conduit pas nécessairement à la préservation des ressources naturelles. En cas d’incident technique ou de procédés frauduleux, la «libération» des déchets métalliques contaminés pourrait même avoir un impact négatif sur toute la filière du recyclage.Deux exemples peuvent illustrer combien l’économie de ressources est aléatoire, dépendante de paramètres qui ne font pas l’objet de prescriptions et ne sont donc pas acquis : 1/ si le métal contaminé sert à fabriquer des contrepoids en fonte pour l’industrie conventionnelle (comme le proposent EDF et Orano) et que ces contrepoids sont actuellement fabriqués avec des ferrailles conventionnelles recyclées, le bilan environnemental sera nul (sauf à trouver d’autres débouchés pour les ferrailles), il y aura seulement un risque accru sur le plan sanitaire; 2/ et si les fûts de déchets radioactifs nécessaires à l’industrie nucléaire sont fabriqués à partir de matières premières brutes (alors qu’il serait possible d’utiliser le métal contaminé), le bilan sera négatif pour l’environnement comme pour la santé.
9. D’autres options seraient moins risquées, aussi bien pour la planète que pour la santé de ses habitants mais elles n’ont pas été proposées au débat. Ainsi le tri des déchets TFA en vie courte (VC) et vie longue (VL), l’entreposage des déchets TFA-VC pourdécroissance des activités et ajustement des flux aux besoins du secteur nucléaire, etc. De l’aveu même d’EDF et Orano, les quantités d’acier nécessaires à la fabrication des conteneurs de déchets radioactifs s’élèvent à 276000t, un chiffre nettement supérieur aux 204000 t que devraient générer le démantèlement d’Eurodif et des générateurs de vapeur EDF. Cette option n’est pas retenue par les producteurs de déchets TFA qui ne la jugent pas assez rentable par rapport aux faibles coûts de stockage au CIRES1. À la différence du recyclage dans le domaine public, le recyclage(sous conditions)danslescircuits nucléaires contrôlésconciliepourtant préoccupations environnementales et sanitaires. Autoriser la «libération» des déchets radioactifs, c’est choisir d’alléger les coûts pour les producteurs de déchets et d’augmenter les risques pour la population.
10. La dissémination de quantités colossales de matériaux contaminés va bénéficier à l’industrie nucléaire mais pas forcément à la France. Les opinions publiques de États européens, majoritairement non nucléarisés ou en voie de sortie du nucléaire, pourraient s’inquiéter. L’investissement nucléaire de notre pays est en effet sans équivalent (plus de 130réacteurs, sans compter les installations du cycle du combustible –conversion, enrichissement, retraitement…–et les sites militaires). La dégradation de son image de marque pourrait peser sur des activités économiques sensibles au label de qualité.Soulignons par ailleurs que nombre d’affirmations sur la pratique du recyclage au niveau européen sont fausses: aucuneétude, et pour cause, n’a prouvé son innocuité; les discours confondent souvent 1/ adoption des seuils de libération et mise en œuvre, 2/ libération pour stockage avec les déchets conventionnels et libération pour recyclage, 3/ recyclage dans l’industrie nucléaire et recyclage dans le domaine public; et comme le suggèrent certaines études, l’acceptation pourrait varier en fonction inverse du niveau d’information et des quantités à recycler.
11/ La levée de l’interdiction réglementaire va fragiliser le système international de radioprotection déjà ébranlé par les missions pro-nucléaires de l’AIEA et d’Euratom et le rôle prépondérant des État nucléarisés (au sein de l’UNSCEAR) et des intérêts nucléaires (au sein de la CIPR). Comment concilier, sans mauvaise foi, la dissémination délibérée des matériaux radioactifs (même très faiblement) avec l’obligation de réduire, autant que raisonnablement possible, le nombre de personnes exposées, les niveaux d’exposition et leur probabilité de survenue? Afin d’autoriser le recyclage des substances radioactives, les autorités ont dû également remettre en question l’interdiction de gérer les déchets radioactifs par la dilutionet supprimer le critère de dose collective(on ne s’occupe que des doses individuelles, peu importe le nombre de personnes exposées!).
Les autorités sont sur le point d’autoriser la «libération» des matériaux dont la contamination respecte les limites réglementaires sans que soient mesurées les implications réelles de cette décision que ce soit sur le plan sanitaire, environnemental, technique, économique, politique ou éthique.
La CRIIRAD considère que la norme doit rester un environnement effectivement non contaminé. Elle refuse la logique orwellienne qui consiste à déclarer «non radioactifs» des matériaux dont chaque kilogramme peut contenir des dizaines, centaines, milliers, millions de becquerels de produits radioactifs qui n’existent pas dans la nature. Ces limites constituent devéritables incitations à polluer. L’esprit des seuils de libération contrevient à ce qui doit constituer l’essence de la radioprotection: préserver la santé et le patrimoine génétique des personnes, les protéger des dangers des substances radioactives et des rayonnements ionisants qu’elles émettent.
La réglementation prescrit désormais le contrôle des concentrations de radon dans les ERP2 et les locaux de travail (afin de limiter l’inhalation de ce gaz) ou encore le contrôle de la concentration en radionucléides naturels (radium226, thorium 232 et potassium 40) de certains matériaux de construction (afin de limiter l’exposition aux rayonnements gamma qu’ils émettent). Dans un tel contexte, il est tout à fait incohérent de décider en parallèle d’augmenter l’exposition à la radioactivité artificielle!
Une fois encore, la population est mise en demeure(«les déchets radioactifs sont là, il faut bien les gérer») et le choix de gestion préserve avant tout les intérêts de ceux qui les ont produits (alors que, légalement, c’est à eux d’en supporter les coûts). Ceux qui donnent des leçons de civisme ne se soucient jamais du devenir des déchets lorsqu’il s’agit d’autoriser la création des installations qui vont les produire. Ce fut le cas pour les usines Georges Besse II, Comurhex II comme pour l’EPR de Flamanville, et six nouveaux EPR sont dans les cartons du Gouvernement sans que rien n’ait changé. Les autorités ouvrent le robinet puis somment les citoyens d’écoper parce que la baignoire déborde.Il faut en finir avec cette situation de chantage permanent et délibéré,revoir les procédures de décision, non pas à la marge (pour donner le change et permettre aux dysfonctionnements de perdurer) mais en profondeur.
Lire (et signer) l’appel de la CRIIRAD.
1 Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockageoù sont aujourd’hui stockés les déchets radioactifs TFA.
2 Établissements Recevant du Public (notamment les écoles).
06/05/2021