Il n’y a pas qu’à Bure qu’une lutte contre l’implantation d’une méga-poubelle nucléaire est engagée. En Italie aussi, depuis des années, il y a du monde qui se bagarre pour empêcher la création d’un site national de stockage des déchets nucléaires. Le projet se précise, et c’est maintenant dans le Piémont que la mobilisation se concentre. Le 6 avril 2024, une manifestation a réuni plus de 2000 personnes à Alessandria.
Depuis 1987 et un référendum post-Tchernobyl en Italie, le pays ne possède plus de centrales nucléaires en activité. A l’époque, les centrales de Caorso, Trino Vercellese et Latina sont arrêtées. Dès 1982, c’est l’usine sur le fleuve Garigliano dans la région de Caserta qui avait été fermée. Des victoires pour les antinucléaires, mais cela ne signifie pas pour autant la fin du nucléaire italien, loin de là ! Outre les exportations de savoirs-faire, matières et autres ingénieurs nucléaires italiens dans d’autres pays (comme l’Albanie, la Roumanie, la Croatie), et outre les activités néo-coloniales de l’industrie nucléaire et minière italienne un peu partout sur le globe, la glorieuse histoire de l’atome se poursuit aussi de l’autre côté des Alpes à cause des inévitables déchets radioactifs. Car même avec un temps d’exploitation des centrales d’Italie relativement faible (de 1965 à 1987), la quantité de déchets liée à la construction, la production et le démantèlement est énorme.
Actuellement, 80 % des déchets nucléaires italiens sont entreposés dans la région du Piémont, à Trino et Salugia (dans la province de Verceil). La région avait été choisie très tôt pour ses nombreux cours d’eau, bien pratiques au refroidissement des centrales. Ces centrales sont devenues centres temporaires de stockage. Pourtant aujourd’hui, la région est régulièrement confrontée à des inondations importantes… quand on pense à ce qui s’est passé à la centrale du Blayais en décembre 99, on se dit que décidément les nucléocrates ont mauvaise mémoire. Ou mauvaise foi peut-être davantage. Enfin la foi, il y en a un qui l’a, c’est le maire de Trino, Daniele Pane. La foi dans l’atome, puisqu’il voudrait faire de sa commune l’unique site de stockage des déchets nucléaires italiens ! Son idée : utiliser le site d’une seconde centrale à Trino qui n’a jamais démarré pour construite un espace de stockage définitif, comme le réclament des instances européennes soucieuses d’enterrer définitivement tous les déchets et les tracas qui vont avec. Alors il faut un dépôt, et vite !
Mais ce n’est pas si évident que ça, et l’État italien doit éviter de reproduire l’échec de 2003, lorsque sa décision d’implanter un dépôt pour toutes les catégories de déchets radioactifs dans la ville de Scanzano Jonico ne passe pas, mais alors pas du tout : la révolte de la population oblige le gouvernement a abandonner rapidement le projet. Le 13 novembre 2003, au lendemain d’une grave attaque contre l’armée italienne en Irak qui défraye la chronique, le gouvernement fait passer en douce un décret législatif pour le chantier d’un dôme de sel de 900 mètres de profondeur censé accueillir tous les déchets nucléaires italiens. Les risques sismiques et d’inondations, ainsi que la méthode de bourrin employée par le gouvernement – qui n’a consulté ni la région de Basilicate, ni la population – fait rapidement réagir. Les agriculteur-ices sont inquiet-es pour leurs cultures. La proximité de la mer Ionienne fait aussi craindre une contamination de l’écosystème marin, un scandale pour les écologistes, et un risque de manque à gagner pour les entrepreneurs du tourisme. Tout ce petit monde se mobilise donc massivement, 24h/24 : manifestation quasi permanente dans Basilicate, blocages routiers et ferroviaires, grèves de la faim, grèves des commerçant-es… La mobilisation est soutenue par le gouvernement régional qui se déclare par décret « zone dénucléarisée » le 19 novembre. Une semaine plus tard, le gouvernement annonce l’abandon du projet.
Depuis, la question demeure : où sera implanté la grande poubelle ? Le dépôt, s’il est construit, accueillera 78 000 mètres cubes de déchets de « faible » intensité (provenant d’hôpitaux et d’industries) et 17 000 mètres cubes de déchets de « haute » intensité (issus des centrales nucléaires italiennes arrêtées) qui mettent des centaines de milliers d’années à perdre en dangerosité. Les travaux devraient durer 4 ans, pour un coût (initial) de 900 millions d’euros. La Sogin, l’équivalent de l’ANDRA en Italie, a d’abord proposé 67 zones potentielles qui pourraient l’abriter, et après écrémage, 51 sites sont de nouveau retenus, dont 5 dans la province d’Alessandria (dans le Piémont).
Là-bas, la contestation s’organise.
Le 6 avril dernier, une manifestation contre le « Dépôt National Unique » a eu lieu à Alessandria, ville situé entre Milan et Turin, dans le Piémont. Environ 2000 personnes ont participé à la manifestation, une marche emmenée par les élu-es (plus de 110 maires présent-es), mais aussi composée de groupes locaux sans liens avec des partis politiques ou autres structures autoritaires. D’ailleurs, d’après un récit de cette manifestation écrit par des anarchistes d’Italie*, celle-ci a été traversée d’une tension palpable entre anti-nucléaires convaincu-es et personnes qui, tout en s’opposant au centre de stockage dans la région, ne sont pas nécessairement opposées à une relance de l’industrie nucléaire en Italie (un doux refrain qui fait son retour progressif, surtout depuis l’arrivée au pouvoir d’une clique d’extrême-droite). Un clivage qui est apparu dès les assemblées publiques préalables à la manifestation. Pour sûr, la lutte contre le dépôt national unique va continuer, sous diverses formes, et on l’espère, dans une perspective radicalement anti-nucléaire. Affaire à suivre…
Pour aller plus loin sur le nucléaire italien :
*https://umanitanova.org/alessandria-report-manifestazione-contro-il-deposito-nucleare-nazionale/
Une brochure : « Entre mafia et colonialisme : le fardeau du nucléaire italien »
Recueil de textes sur les déchets nucléaires en Italie, initialement publié dans le numéro 291 de la revue antinucléaire allemande Anti Atom Aktuell (février 2021).
Un média autonome : radioblackout.org
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