À l’entrée, plusieurs dizaines d’opposant.es présent.es, dont la plupart refusent d’entrer dans la salle, fidèles à l’appel à boycott qui avait été lancé plusieurs mois auparavant. Certain.es distribuent des tracts, d’autres tiennent une banderole « Les déchets à l’Elysée » et improvisent joyeusement une chanson sur ce thème.
Il est 19h, la magistrate Isabelle Harel-Dutirou, présidente de la commission particulière du débat public (CPDP), nous accueille dans la salle avec un grand sourire, le visage lisse et serein : « on sait qu’il y aura des opposants au projet ce soir, mais ne vous inquiétez pas, tout le monde aura le droit de s’exprimer ».
Une séance de déballage ou bien un véritable débat ? Après tant d’années passées à lutter pour faire entendre nos voix face à un projet qui avance imperturbablement, avec un monologue auto-persuasif des promoteurs en guise d’argumentaire, comment pourrions-nous être encore dupes ?
Surtout ce jeudi 20 juin 2019, cynique date anniversaire de la violente vague de perquisitions qui a touché, il y a un an, quinze opposant.es, dont 7 personnes sont maintenant mises en examen et sous contrôle judiciaire dans le cadre d’une « association de malfaiteurs » Une coïncidence ? À force d’en rencontrer on se pose la question.
Pas de gros dispositif militaire cette fois : la salle censée accueillir le dit « Débat Public » avait plutôt l’apparence d’un nid de guêpes.
Vigiles, palpations et fouilles des sacs à l’entrée, plusieurs renseignements généraux à l’intérieur comme à l’extérieur, des véhicules de police garés tout autour du bâtiment, accompagnés d’officiers en uniformes ; et l’ANDRA, représentée par une dizaine de salariés dont les places étaient déjà réservées et gardées par le garde du corps de Phillipe Mazoyer, un homme au visage dur et impassible qui n’hésite pas à virer toute personne qui s’approcherait de trop près du rang des VIP. Ce jeudi soir, tous les éléments avaient été réunis afin que le débat puisse se dérouler dans une « ambiance sereine ».
On se croirait presque au tribunal de Bar-le-Duc
Il ne manquerait plus que…
Le procureur Olivier Glady ? Mais lui aussi est présent !
Tous les acteurs habituels sont donc là, le spectacle peut commencer.
En s’affichant une fois encore sous le feu des projecteurs, le « procureur pyromane » du Tribunal de Bar-le-Duc semble ne plus pouvoir se passer de la présence des opposant.es au projet CIGEO, ou peut-être s’est-il pris de passion pour ce dernier.
Il semblerait que le rapport de la LDH et FIDH sorti le matin même [1] et dans lequel il est fortement mis en cause, ne l’a pas décidé à faire profil bas : en s’affichant aux côtés de policiers et en discutant longuement et ouvertement avec la présidente de la CPDP, Olivier Glady paraît déterminé à continuer de provoquer son public, toujours avec un même enthousiasme déconcertant.
Extrait de ce rapport par un observateur indépendant belge :
« J’ai en effet pu observer qu’avec beaucoup de maîtrise, le procureur s’emploie au travers de chaque réquisitoire, à mettre au point une stratégie de provocation du public en sorte que l’évacuation de la salle à 14h35 à l’occasion de l’interpellation d’un seul individu paraît bien être l’aboutissement d’un processus auquel le procureur a apporté tout son soin depuis le début de l’audience :
en requérant le plus longtemps possible et de manière redondante dans chaque dossier ;
en parlant de lui et en se victimisant ;
en entretenant l’entre-soi et la connivence avec le siège ;
en caricaturant la contradiction qui lui était portée par la défense
en pratiquant de manière systématique à l’égard des prévenus visés par les quatre premiers dossiers, avec une causticité inappropriée, une disqualification systématique des prévenus, principalement dans leur relation au monde du travail et dans leur mode de vie.
Je pense pouvoir dire que j’ai observé lors de l’évacuation de la salle, la satisfaction et même la jubilation qu’il manifestait, étant tout sourire. L’impression la plus vive est que cet incident constituait, pour le procureur, un aboutissement. »
Le procureur Olivier Glady, face au public et entouré des renseignements généraux.
Dispositif policier installé autour du gymnase lors du « débat » public.
« La LDH considère, au vu des éléments qui lui ont été communiqués, que les autorités publiques se livrent à un harcèlement contre les opposants au site d’enfouissement destiné à criminaliser leur position et leur manifestation et qui a pour effet de porter atteinte aux libertés individuelles. A cet égard, l’ouverture d’une information du chef d’association de malfaiteurs fait peser sur l’ensemble de ce mouvement une menace injustifiée et de nature à porter atteinte aux libertés d’association, d’expression et de manifestation. »
Que ce soit dans les villages autour du peut-être futur dépotoir nucléaire, au tribunal de Bar-le-Duc pendant les procès « Bure », lors des réunions d’associations, et, maintenant, pendant les débats publics… Il semblerait que toute personne qui souhaite lutter contre ce projet ne puisse plus le faire sans se sentir dans le colimateur partout où qu’elle aille.
En effet, comme le souligne le rapport de la LDH, il semble être devenu impossible pour toute association opposée au projet de se réunir dans des conditions sereines, c’est à dire sans qu’un dispositif policier soit présent pour observer et noter ce qu’il se passe et ficher les participant.es. Ainsi va la démocratie depuis 25 ans en Meuse, et même en France depuis 70 ans où le nucléaire militaire et civil est imposé à la population par nos gouvernants et le lobby.
Pour la première fois, un dispositif de gendarmerie a été installé pour le Congrès du Réseau Sortir du Nucléaire le 14-15-16 juin 2019, à Pierrefite es Bois.
Ce n’est pas entouré.e.s de l’ANDRA, des renseignements généraux, d’officiers de police, d’un procureur décomplexé, obsédé par les opposant.es, et d’une commission pseudo indépendante qu’il est possible de prendre des décisions démocratiques et « sereines » quant à ces déchets dont nous ne savons que faire, et que nous continuons néanmoins à produire de façon totalement schyzophrène.
La configuration sciemment orchestrée lors de ce débat public créait volontairement un climat d’intimidation et visait clairement à dissuader toutes voix dissonantes de se manifester et de faire capoter ce faux débat comme cela avait été le cas en 2013 grâce au chahutage bruyant des opposant.es.
Néanmoins, cela n’a pas empêché certaines personnes de tourner en ridicule ce qui, derrière des apparences démocratiques, s’avère n’être qu’une simple présentation de ce qui a déjà été décidé. Tantôt à travers des interventions très théâtrales, face auxquelles la CPDP n’était pas préparée à réagir, et pour le plus grand bonheur du public (surtout de celles et ceux que la configuration de ce « débat » rendait particulièrement mal à l’aise) ; tantôt en prenant la parole pour mettre l’ANDRA et la CPDP face à ses contradictions :
« Et comment garantir la mémoire du site, si les déchets restent dangereux des centaines de milliers d’années ? L’écriture n’a que 6.000 ans… » s’est interrogé quelqu’un. « Cigéo permet le confinement même si l’on ne s’en rappelle plus », a rassuré un directeur de l’Andra installé dans le public, entouré d’un groupe de collègues et assumant implictement la perte de la mémoire d’un tel site [2]… Pourtant il n’est absolument pas démontré ni démontrable que le confinement puisse perdurer sur ces temps aussi longs.
Et le débat on en fait quoi alors ?
Quelques mois avant, M. Longuet, sénateur de la Meuse et Président de L’office national des choix scientifiques rencontrait Emmanuelle Wargon, secrétaire d’état à la transition écologique (la blague !) pour lui demander d’accélérer le train de démarrage des travaux de Cigéo, sans même attendre le débat public censé précéder l’autorisation de création de Cigéo.
Voici un tweet de Emmanuelle Wargon en janvier 2019 :
Conclusion, plutôt que de se rendre aux consultations publiques qui n’ont jamais rien changé à l’avenir du nucléaire, si ce n’est qu’à lui fournir un vernis démocratique et qui ne font au contraire que l’encourager en laissant croire aux gens que des solutions existent, on peut par exemple rejoindre les comités locaux de soutien à Bure qui luttent près de chez nous contre le nucléaire, s’inviter au débat comme à Lille et oeuvrer activement à ce que l’autorisation de création n’intervienne pas, que les travaux ne puissent pas débuter.
Nicolas Hulot avait tort, et il le sait certainement mais a lui-même succombé à l’acceptabilité sociale des fonctions ministérielles, celles qui ont fait signer à Dominique Voynet les pires trahisons environnementales : il n’y a pas à tergiverser, Sortir du nucléaire et arrêter de produire ses déchets, c’est ça, la moins pire des options ! Et c’est avant tout sur ça qu’il faut travailler, plutôt que de continuer à fermer les yeux sur les véritables causes du problèmes.