Des pastilles d’iode pour faire avaler la pilule ?

Depuis lundi 16 septembre, les pouvoirs publics et EDF lancent une nouvelle campagne de distribution de pastilles d’iode stable gratuites dans les pharmacies, dans un rayon de 10km autour des centrales nucléaires de Cattenom, CruasSt Laurent, le Tricastin, le Blayais, Golfech, Penly, Paluel, Flamanville,…

Sont également concernées les personnes résidant ou travaillant à proximité des installations civiles suivantes : CEA de Cadarache, Institut Laue Langevin de Grenoble.

carte des centrales nucléaires en france (2019) – depuis, les 2 réacteurs de Fessenheim sont à l’arrêt.

Ces pastilles d’iodes remplacent celles précédemment distribuées en 2016 – la date de péremption étant dépassée depuis 2022. La prochaine campagne de distribution des comprimés d’iode pour les personnes habitant dans un rayon de 10 à 20 km autour d’une centrale nucléaire est prévue pour 2026.

Ces pastilles sont à prendre en cas d’accident nucléaire, sur ordre de la préfecture. Selon EDF, pour être efficace, l’iode stable doit être ingéré idéalement dans les heures précédant le passage des particules radioactives ou 8 heures après au plus tard. Autant dire qu’il faudrait que la Préfecture connaissent à l’avance la date et l’heure d’un futur accident nucléaire, afin de prévenir la population. Ou sinon qu’elle se montre extrêmement réactive en cas d’accident, ce qui n’a pas été le cas à Fukushima par exemple (l’évacuation, suite à la catastrophe nucléaire, sur un périmètre de 3 à 30 km a pris plusieurs jours, la distribution de pastilles d’iode aussi.) On peut aussi parler des accidents nucléaires dont la population n’a pas connaissance, comme par exemple ceux survenus à la centrale de Saint Laurent des Eaux en 1969 et 1980, et qui ont été entièrement dissimulés jusqu’en 2011..

Cette campagne de distribution est déjà un aveu certain des autorités sur la possibilité d’un accident nucléaire grave en France, or si la prise d’iode stable peut s’avérer efficace pour lutter contre les éventuels cancers de la thyroïde induits par l’iode-131, elle n’est en aucun cas un bouclier contre tous les autres radio-isotopes qui pourraient être dispersés lors d’un tel accident (césium-137, strontium-90, plutonium et tant d’autres…).

En dehors de catastrophes telles que celles de Tchernobyl et de Fukushima, les médias ne relaient pas, ou peu, les incidents et accidents qui surviennent régulièrement au sein des installations nucléaires dans le monde. On peut prendre l’exemple de Chooz en 1968 où un « incident » a exigé deux années de réparation : la panne a été gardée secrète et des eaux radioactives ayant servi à noyer le réacteur ont été rejetées dans la Meuse. Aussi, le taux de cancers de la thyroïde à proximité des installations nucléaires, sans que ne soit décrété le « seuil » de l’accident tend déjà à prouver la nocivité et la présence de la radioactivité pour les riverain.es. Sortir du Nucléaire a récemment sorti une carte collaborative recensant les accidents nucléaires, pour ceux dont nous avons connaissance.

S’il suffit d’attendre le « feu vert » de la préfecture pour consommer sa pilule d’iode lorsqu’on habite près d’une centrale, on se demande si ce n’est pas tous les jours au petit déjeuner qu’il faudrait la prendre pour qu’elle soit efficace contre la radioactivité quotidienne (ceci est une blague).

Les pastilles d’iodes représentent plutôt une opération de communication pour faire accepter une menace imposée aux populations et lui donner l’impression qu’elle est effectivement protégée… et cela uniquement dans un rayon de 20 km autour d’une centrale nucléaire, parce que paraît-il « le nuage radioactif n’ira pas plus loin »… De la prévention-propagande pour dire que tout va bien, que tout est sous contrôle dans le meilleur des mondes, et peut-être pour faire avaler la pillule (avant la pastille d’iode) d’une poursuite et d’une relance de l’industrie nucléaire..


A quoi faudrait-il s’attendre à Bure ?

Ici, à Bure, où l’ANDRA n’a toujours pas obtenu l’autorisation pour enfouir les déchets nucléaires sous terre, le sujet peut interroger. Si CIGEO se fait, doit-on s’attendre à ce que d’ici quelques années, des pastilles d’iodes soient distribuées autour de Bure, dans ce territoire qui se nucléarise ? Et qu’est-ce que ça signifierait ?

Doit-on s’attendre à une mise à disposition de pastilles d’iode le long du projet de voie ferrée portée par la SNCF entre Nançois-Tronville et Gondrecourt, pour les riverain.es des 2 convois de déchets nucléaires (Castor) qui circuleraient chaque semaine ? Et quelle quantité d’iode consommer, puisque la radioactivité pourrait être disséminée » en continu,en dehors des risques d’accident ?

Un rapport de la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) alertait le 12/09/2024 : « Les transports de substances radioactives traversent l’espace public et peuvent entraîner une exposition non négligeable de la population aux rayonnements ionisants. Ceci est dénoncé depuis plus de 15 ans par la CRIIRAD, à travers la réalisation de campagnes de mesure et d’études spécifiques, l’interpellation des autorités et des entreprises de transport, ainsi qu’un travail de formation et d’information (interventions médiatiques, interventions auprès de CLI)« .

Est-ce que les doses prescrites seraient plus fortes à Gondrecourt-le-Château où les « colis » de déchets radioactifs seraient stockées puis transférés dans le dépôt ?

Et qu’en sera-t-il des abords de l’Installation Terminale Embranchée (ITE) entre Gondrecourt et la descenderie à Saudron, dont la situation actuelle est encore en phase d’expropriation (comprenant notamment l’ancienne gare de Luméville et la parcelle de légumes cultivés par les Semeuses) ? Sous l’oeil des flics, logés dans les casernes de Gondrecourt et du labo, des trains circuleraient sous le contrôle de compteurs Geiger jusqu’à la descenderie où des robots se chargeraient de déplacer les fûts contaminés..

Et aux abords de cette descenderie, les pastilles d’iode seraient-elles largement diffusées, car la proximité du danger serait plus vive, ou les villages seraient tout simplement rayés de la carte pour éviter tout risque sanitaire sur la population ?

Devra-t-on s’attendre à ce que le territoire soit quadrillé et grillagé, interdit aux non-résidant.es / travailleur.ses, comme à Mayak, ville russe de 80 000 habitant.es, où le village est impénétrable depuis l’accident nucléaire de 1957 ?

Aura-t-on besoin d’iode pour contrer les échappements radioactifs, depuis un bosquet ou des terres cultivées près du bois lejuc, dont les tréfonds auraient été cédés ou expropriés pour y stocker des colis radioactifs ? De toute façon, pourra-t-on encore cultiver, habiter, vivre là-bas ? Qu’attendre d’une région qui se nucléarise et qui se militarise de plus en plus ?

Sera-ce devenu le rêve de la Silicon Valley, dont rêvait le maire de Cirfontaines, Antoine Allemeersch et les élu.es ayant accepté de vendre le territoire à l’ANDRA ? … Le rêve de tous crever d’un cancer de la thyroïde sous prétexte que « les déchets il fallait bien les mettre quelque part », et pour que la production nucléaire se perpétue. Et ainsi, Bure deviendra très certainement la troisième région la plus nucléarisée du monde, après la Hague et le Bugey. Amen.

Quand on pense à un territoire qui se nucléarise, on ne peut que penser à la lecture de La Hague, ma terre violentée, publiée en 1981 par l’éco-féministe Xavière Gauthier (et réédité en 2022 chez Cambourakis), sur la nucléarisation de la presqu’île de la Hague :

« L’usine atomique de La Hague est tristement célèbre par ses accidents répétés. Mais sait-on que c’est le centre de retraitement et de stockage de déchets radioactifs le plus dangereux du monde ? Aucun autre pays ne veut d’une pareille menace.

Cette horreur, je la sens incrustée en moi, car elle est construite sur ma terre d’enfance, dans le ventre même de mon enfance, qui devient un gigantesque cimetière de déchets dont rien, ni personne, ne peut arrêter la radioactivité. Et cela pour des millénaires. Il faudra près de 5000 siècles avant que le plutonium 239 ait perdu la presque totalité de sa radioactivité !

Alors, je dis la violente colère qui m’envahit, contre ce qui défigure et empoisonne la terre qui m’a nourrie, contre ce qui menace son avenir, contre ce qui blesse et souille ma chair de femme. Alors, j’en appelle à la révolte de tous pour sauver un territoire de vie, une région, qu’on veut sacrifier au mythe du progrès.

Et, dans la désolation des landages de bruyères, dans ma violente tendresse au monde, dans le déchirement de la maternelle passion, un chant d’amour éclate, se répand, et recouvre, avec le bruit de la marée montante, les sirènes de la destruction. »

Il suffit de mettre le nez dans son dossier de demande d’autorisation de création (DAC) en cours d’instruction pour s’apercevoir que l’ANDRA navigue et avance… à vue. Ce dossier comprend de nombreux manquements et incohérences *, et force est de croire qu’encore une fois, l’ANDRA prendra la population pour cobaye de ses expérimentations scientifiques ; en pariant sur une région où vivent 6 habitants au kilomètre carré et en espérant qu’un bon nombre fuiront « d’eux-mêmes », poussés vers la sortie, expropriés, ou ne voulant plus vivre sous la menace dans un territoire ultra-militarisé et dont tous les atouts naturels auront été massacrés.

Les pastilles d’iodes ne protègeront pas ce territoire du danger radioactif. Une seule solution s’impose, pour limiter des dégâts identifiés, anticipés et catastrophiques : arrêter cette industrie mortifère et surtout ne pas enfouir ses déchets.

Car l’accident nucléaire le moins radioactif, c’est celui qui n’a pas eu lieu 🙂

Notes :

* – Par exemple, l’Autorité environnementale estime dans son Avis délibéré n°2024-40 du 27 juin 2024 sur Cigéo qu’ »une évaluation quantitative des doses reçues au domicile des riverains de la ligne ferroviaire serait utile ». (Page 36)

– La CRIIRAD vient de relever « une densité d’anomalies sidérante dans les études d’impact » dans son analyse critique du 12/09/2024, elle réclame une enquête et la suspension du projet dans l’attente de garanties à l’efficacité démontrée.

24/09/2024

CIGEO

    Et sinon, 8 jours avant
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    sur le même sujet.

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