La leçon de Stocamine pour Bure : l’État ne tient pas sa parole [reporterre]

Paru sur reporterre.net le 8 février 2021, par la coordination stop-cigéo et le collectif destocamine.

Les 42.000 tonnes de déchets hautement toxiques enfouies dans le site de Stocamine y resteront, malgré la promesse de la « réversibilité ». Les en sortir coûterait trop cher, même si c’est faisable, expliquent les auteurs de cette tribune. Qui s’interrogent : pourquoi serait-ce différent pour le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure en cas d’accident ?

La coordination Stop Cigéo réunit les associations en lutte contre le projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires (Asodedra, Bure Zone libre, Bure stop 55, Cacendr, Cedra 52, Eodra, Meuse Nature Environnement); le collectif Destocamine rassemble associations et organisations syndicales.


La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a annoncé lundi 18 janvier que les 42.000 tonnes de mercure, de cyanure, d’arsenic, d’amiante, etc., encore présentes dans le centre de stockage de déchets hautement toxiques Stocamine, à Wittelsheim (Haut-Rhin), resteraient définitivement confinées à 500 mètres de profondeur. Et ce, malgré la contamination inéluctable, à plus ou moins long terme, de la nappe phréatique par remontée de ces produits toxiques et l’obligation légale de réversibilité du stockage souterrain (c’est-à-dire l’obligation de se donner les moyens de récupérer les déchets). Une trahison que, lors de sa visite à Wittelsheim, le 5 janvier 2021, Mme Pompili s’est vue obligée de reconnaître :

 Il faudra que l’on tire des leçons de l’Histoire, une leçon de ce qu’il s’est passé, une leçon sur la parole de l’État et l’utilisation du mot «réversibilité». Je crois qu’il faut le bannir à tout jamais ce mot.»

Parallèlement, elle justifiait sa décision en invoquant l’affaissement probable des galeries sur les déchets, à la suite de l’incendie de 2002, ainsi que le risque sanitaire pour les travailleurs en cas d’opérations de déstockage. Mais il est probable que le coût du déstockage, régulièrement évalué autour de 450 millions d’euros quand celui du confinement définitif en vaudrait trois fois moins, ait été un paramètre déterminant.

Cette annonce est un véritable scandale, tant du point de vue environnemental que démocratique. Et comment ne pas faire un parallèle avec le très controversé projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure? Alors, Madame la Ministre, puisque vous l’avez souhaité à Wittelsheim, tirons «les leçons de l’Histoire»!

L’accident «impossible»

Prévu pour accueillir 320.000 tonnes de déchets, mis en service en 1999 avec la promesse de réversibilité en cas d’incident, le site de Stocamine a été mis à l’arrêt en 2002 à la suite d’un incendie souterrain. Depuis, un bras de fer oppose, d’un côté, les acteurs du territoire alsacien, qui demandent le retrait des 42.000 tonnes de déchets chimiques enfouis, et de l’autre, l’État, qui se défile.

Pourtant, aux dires de ses exploitants avant ce fameux incendie, Wittelsheim était un site extrêmement favorable, même à très long terme. La mine était stable, les études hydrogéologiques réalisées par l’École des mines de Paris et par l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques) l’attestaient. On était tranquilles pour au moins dix mille ans! À Bure, aujourd’hui, même topo : l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) vante le caractère exceptionnel du site, répète qu’il est stable depuis des millions d’années et continue de souligner les qualités de la couche d’argile malgré les remises en cause de nombreux experts indépendants.

À Stocamine, c’est un simple défaut dans la procédure d’admission des colis qui a conduit à l’accident de 2002. Depuis, les galeries s’affaissent. Elles se referment sur les déchets à un rythme deux fois plus rapide que celui prévu par les géologues. Élus, habitants et travailleurs des mines avaient pourtant fait confiance à ceux qui leur garantissaient la sûreté et la réversibilité du site. Notamment à Pierre-Franck Chevet, alors directeur de la direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (Drire) Alsace, qui avait validé le projet. Et que l’on a retrouvé, entre 2012 et 2018, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) chargée d’évaluer la sûreté du projet Cigéo.

En 2019, jumelage à Bure lors de la venue de Destocamine pour une conférence.

En 1999, élus et dirigeants se sont succédé sur les plateaux de télévision en présentant Stocamine comme une aubaine pour la région de Mulhouse : ils promettaient la création d’une centaine d’emplois et d’un pôle de recherche sur les déchets en liaison avec l’école de chimie de Mulhouse. En réalité, seuls quinze emplois de mineurs recyclés ont été créés. Le rêve de la «Silicon Valley alsacienne» n’a jamais vu le jour.

Même stratégie à Bure. Le fameux «laboratoire de recherche» installé par le gouvernement s’est vite transformé en agence de communication. Plus d’un milliard d’euros a déjà été dépensé pour favoriser l’acceptabilité sociale du projet. Mais le territoire continue à se désertifier, les promesses d’emplois ne sont pas au rendez-vous, et les acteurs du territoire ont le sentiment de s’être fait berner.

La «réversibilité», une formule rhétorique

La réversibilité a été inscrite dans l’arrêté d’autorisation de Stocamine en 1997. Ce n’était pas une promesse, mais une obligation légale. À l’époque, chacun faisait semblant d’y croire. Michel Streckdenfinger, ingénieur des Mines et président de Stocamine de 1991 à 2000, déclarait : «Nous devons garantir les conditions techniques et financières de la remontée [des déchets toxiques] [1].» Promis, juré. Finalement, c’est le coût de l’opération qui aura été déterminant pour décider d’abandonner à jamais les 42.000 tonnes de déchets toxiques. C’est du moins le sentiment qui domine chez de nombreuses associations environnementales et élus du territoire : la question financière l’a emporté, malgré les preuves fournies de la faisabilité de la récupération des déchets [2].

Les gouvernements successifs ont perdu (ou gagné?) du temps en commandant rapport sur rapport. Mais, alors que les avis convergeaient vers la faisabilité du déstockage total, ils n’ont pris aucune décision, se sont refilé la patate chaude pendant deux décennies, pour finir par dire : «On n’a plus le temps, il y a un risque d’effondrement des galeries.»

En Alsace, c’est la sidération. Comment faire confiance à ceux qui prônent aujourd’hui un confinement définitif alors qu’avant l’incendie de 2002, ils assuraient que le centre de stockage de Stocamine était parfaitement sous contrôle?

À Bure, c’est le coup de massue. Le refus de respecter le cahier des charges de Stocamine aujourd’hui confirme que, demain, à Bure, si le projet Cigéo était autorisé, même en cas d’accident majeur jamais l’option de récupérer les déchets ne serait retenue, pour des raisons techniques, politiques ou financières. Une crainte d’autant plus forte qu’elle a déjà été formulée par les autorités nucléaires chargées d’évaluer le projet Cigéo, et notamment par l’Autorité environnementale, dans son avis du 13 janvier 2021.

Tirer les leçons du fiasco de Stocamine doit donc conduire à l’abandon du projet Cigéo à Bure. Car, désormais, nul ne pourra dire : on ne savait pas!

09/02/2021

ANDRA
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