Ce texte a été publié initialement sur le site radiaction.org.
Les 6 et 7 avril 2019, le collectif Ende Gelände France est devenu… RadiAction ! Après de nombreuses discussions collectives, nous avons ainsi décidé de centrer notre action sur la lutte contre le nucléaire. Pourquoi cela, nous demanderez-vous, alors que l’urgence climatique semble désigner les émissions de gaz à effet de serre comme l’ennemi public numéro 1 ?
Le nucléaire est une filière industrielle complexe : de l’extraction du minerai d’uranium en Afrique et en Asie jusqu’à l’enfouissement des déchets dans notre sol en passant par le transport, l’enrichissement, l’utilisation du combustible et son retraitement en France, des infrastructures dangereuses, polluantes et coûteuses permettent la production de l’énergie nucléaire, hors de la vue de la population. Et pour cause : rien ne va dans cette industrie. L’enfouissement des déchets est toujours la seule option disponible pour s’en débarrasser, pourtant loin d’être satisfaisante. Nous, on ne veut pas que la poussière radioactive soit mise sous le tapis !
Voilà les 12 points qui nous ont convaincu.e.s de nous engager dans cette lutte !
Car le nucléaire est …
Il n’y a pas d’indépendance énergétique de la France grâce au nucléaire : la France importe 100% du minerai d’uranium nécessaire à la production de combustible nucléaire (1,2). L’impact écologique et social de l’extraction de l’uranium est désastreux : au Niger, ancienne colonie française où Orano a pu négocier des conditions d’exploitation plus qu’avantageuses, les populations sont exposées à des matières radioactives, l’exploitation de l’eau pour le fonctionnement de cette industrie assèche des points d’eau dont dépendent habitant.e.s et travailleur.se.s, et des matières radioactives sont relarguées dans l’air (3).
EDF a recours à la sous-traitance à hauteur de 80% pour les opérations de fonctionnement courant et de maintenance des centrales, selon un rapport d’enquête parlementaire paru en juin 2018. Il s’agit d’une précarisation des conditions de travail dans un secteur qui nécessite une rigueur particulière concernant le suivi médical des travailleur.se.s du nucléaire (4), ce qui témoigne d’une dérive des services publics, visible dans d’autres secteurs.
Le premier réacteur nucléaire, la pile Zoé, a été construit pour produire du plutonium pour l’arme atomique. La production d’énergie en était alors une simple conséquence (5). Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), créé en 1945 par le général de Gaulle, a vocation officielle à « poursuivre les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans divers domaines de l’industrie, de la science et de la Défense nationale » (6). L’usine de retraitement de la Hague a été construite initialement comme une usine d’extraction du plutonium pour la bombe atomique (5).
L’énergie nucléaire est une énergie hautement capitaliste qui consacre l’alliance d’un État puissant et d’une industrie d’élites, hors du contrôle de la population (7). L’industrie nucléaire et son monde sont complètement opaques, échappant aux règles classiques du droit de l’environnement ; les informations et les savoirs sont contrôlés, les citoyen.ne.s maintenu.e.s en dehors de la sphère décisionnelle. La population n’a jamais été consultée lors de la mise en place des dizaines de réacteurs actuellement en service en France, alors même que ceux-ci présentent des risques menaçant potentiellement la société entière. 54 % des personnes interrogées pensent pourtant que l’on peut se passer du nucléaire (sondage CSA – 2012) (8).
La mise en faillite d’Areva, actuellement Orano, est en partie le fait d’une acquisition frauduleuse de mines d’uranium en 2007 en Afrique du Sud, en Namibie et en Centrafrique (9,10,11). Récemment encore, Orano fait l’objet d’une enquête du parquet pour une affaire de corruption en Mongolie (12). Systématiquement, l’énergie nucléaire est présentée comme un modèle et une industrie exemplaire alors qu’elle fabrique le consentement par la corruption des élu.e.s dans les villages proches des installations.
La résistance au projet CIGEO d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure a fait l’objet de plus d’une cinquantaine de procès, des centaines de mois de sursis distribués, près de 2 ans de prison ferme et 26 interdictions de territoire (13). La répression s’abat pour des chefs d’accusation mineurs qui relèvent le plus souvent du refus de donner son identité, ses empreintes ou son ADN, ce qui révèle une justice d’exception (14) qui a pour but de paralyser l’opposition en limitant les libertés individuelles. Pourtant, lutter contre une industrie qui fait reposer sur les générations futures une responsabilité pour des décisions prises aujourd’hui est une nécessité absolue !
A toutes les étapes du cycle du nucléaire, de l’extraction minière au stockage des déchets, de nombreux rejets (contrôlés) et fuites (accidentelles) d’éléments radioactifs ont lieu (15,16). Même à dose très faible, les radiations ionisantes ont des effets délétères sur toute forme de vie animale et végétale (17). En outre, de nombreuses substances polluantes sont utilisées tout au long de la production d’énergie nucléaire, comme de l’acide sulfurique, en grande quantité (18).
Un accident majeur en France impacterait des millions de personnes et pourrait coûter de 500 à 2000 milliards d’euros (19). Depuis 1957, 10 accidents de niveau 4 à 7 sur l’échelle INES, dont 1 en France, et 13 incidents majeurs de niveau 3, dont 3 en France, ont été recensés dans le monde (20). Sur l’échelle INES, 7 est le niveau maximum, celui de Tchernobyl et Fukushima.
L’énergie nucléaire est incompatible avec les instabilités socio-économiques et la possibilité d’un effondrement de la civilisation thermo-industrielle. En effet, elle rend les populations beaucoup plus vulnérables à des actes de malveillance ou de négligence. Par exemple, le survol des centrales par des drones non-identifiés et le vol des cadenas de l’EPR de Flamanville témoignent de graves problèmes de sécurité (21,22),outre les failles dénoncées par les militant.e.s de Greenpeace qui sont rentré.e.s de multiples fois dans des centrales. Malgré leur inefficacité à lutter contre les menaces, les autorités nucléocrates profitent de la situation pour renforcer la société du contrôle et prendre des mesures qui relèvent de l’anti-terrorisme contre le militant.e.s.
Le nucléaire créé un sentiment d’abondance. La trajectoire actuelle de la France est celle d’une croissance continue de la consommation d’électricité, sans questionnement sur l’utilisation de la production, alors qu’une augmentation de l’efficacité énergétique et une politique de sobriété permettraient une réduction de 65 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (23). Parler d’efficacité et de sobriété encouragerait la rénovation thermique, qui permettrait de lutter contre la précarité énergétique qui touche 12 millions de personnes en France (24).
Les réacteurs nucléaires ont besoin d’être refroidis en permanence par une circulation d’eau, d’où leur implantation systématique près d’un cours d’eau ou de la mer. L’augmentation en cours et à venir des périodes de sécheresse (25) mais aussi des inondations (26) est incompatible avec le nécessaire refroidissement des centrales. L’augmentation des tsunamis et conséquemment des séismes (27) ainsi que la hausse du niveau des mers et la présence de centrales hydroélectriques vulnérables en amont de certains réacteurs (Bugey) impliquent des risques importants pour les installations nucléaires.
Une politique énergétique basée sur le nucléaire peut difficilement coexister avec le développement des énergies renouvelables. L’investissement actuel dans l’énergie nucléaire est trois fois plus important que pour ces dernières. Il est en effet prévu de dépenser 469 milliards d’euros dans les 30 prochaines années pour les nouveaux réacteurs, le grand carénage (« grand rafistolage » des vieux réacteurs), le stockage des déchets et le démantèlement des anciennes centrales (28). Un scénario de transition énergétique avec sortie du nucléaire est estimée à 413 milliards d’euros (29). Par ailleurs, dire que l’énergie nucléaire est décarbonée est inexact puisque le transport de l’uranium et son enrichissement, ainsi que la construction et le démantèlement des infrastructures, impliquent de l’énergie fossile (des études contradictoires parlent de 12 à 66 grammes de CO2 émis par kilowatt-heure nucléaire produit, alors qu’EDF annonce 4g) (30,31).
Le nucléaire, c’est tout un tas de décisions très importantes à venir prochainement. Les centrales de production françaises sont vieillissantes. Plus des deux tiers de nos réacteurs arriveront théoriquement en fin de vie d’ici à 2035 et l’État décidera sans doute à l’horizon 2021-2022 s’il relance la construction de nouveaux réacteurs. L’anti-nucléaire, c’est aussi un mouvement qui a besoin de soutien et de dynamisme pour mobiliser dans la société et parmi les jeunes générations. Et puis, en tant que mouvement écologiste français, c’est notre responsabilité. Le nucléaire est notre charbon. L’impact de la sortie du nucléaire de la France serait global. Il n’y a pas d’atome pacifique. Nous allons lutter.
Avec tous ces arguments, l’énergie nucléaire est discréditée ! Les hydrocarbures sont exclus, de par leur impact climatique.
Les énergies renouvelables, dans un contexte industriel centralisé, ne sont pas non plus une solution. Ces technologies reposent aujourd’hui sur la poursuite d’une méga-industrie minière extractiviste colonialiste et polluante. De même, l’utilisation de surfaces arables pour produire de la biomasse entre en compétition avec la production alimentaire et s’inscrit dans un contexte d’accaparement des terres, destructeur et injuste. Seule reste une politique de sobriété et d’efficacité énergétiques, en un mot une décroissance drastique de notre consommation énergétique, qui de fait sous-entend un changement radical de nos modes de vie, un changement qui questionne à la fois le capitalisme, la centralisation et le colonialisme et, de façon générale, la manière dont on produit et dont on utilise l’énergie.
Démocratisons ces questions, imaginons une énergie participative. Adaptons le mode de production de l’énergie aux ressources présentes localement (déchets agricoles, chaleurs perdues, bois, élevage, vent…) et à l’utilisation finale de cette énergie. Ce n’est qu’une petite partie de la réponse… Nous souhaitons approfondir ces questions pour mieux mesurer l’ampleur et la complexité de la problématique profondément imbriquée dans nos imaginaires, s’inspirer de ce qui a déjà été fait, réfléchir ensemble et avec d’autres, et inventer, créer !
Point 1
Article de l’Express sur « l’indépendance énergétique » à la française
Étude de l’OECD et NEA sur l’énergie nucléaire dans le monde (chiffres disponibles pour la France)
Étude de la CRIIRAD sur la situation radiologique près des principales mines d’uranium Orano au Niger
Point 2
Enquête parlementaire sur la sûreté des installations françaises
Un volet (II DES EXPLOITANTS DEVENUS DÉPENDANTS DE LEURS SOUS-TRAITANTS) se consacre à la précarisation des travailleurs du nucléaire. Elle est par ailleurs alarmante sur de nombreux autres points.
Point 3
Le cycle du combustible nucléaire de Louis Patarin
Histoire de la création du CEA (ordonnance du 18 octobre 1945)
Point 4
Thèse sur l’histoire de la sûreté de l’énergie nucléaire en France et du pouvoir de l’administration de sûreté
Sondage CSA sur les Français et le nucléaire – 2012
Point 5
L’express : Areva, nouveaux soupçons de corruption
L’Express : Areva et uramin, l’ex patronne Anne Lauvergeon devant les juges d’instructions
Le monde diplomatique, novembre 2016, Juan Branco
Usine Nouvelle : Orano soupçonné de corruption dans un projet minier en Mongolie
Point 6
Liste des procès des militant.e.s par le collectif des opposant.e.s
Article de Libération sur la criminalisation des opposant.e.s
Point 7
Article du Parisien sur les plaintes contre EDF dues à des fuites radioactives
Article du Monde sur la mauvaise gestion des déchets radioactifs
Rapport de l’UNSCEAR sur les conséquences des radiations sur la santé et notamment les faibles doses
Article de France 3 sur un rejet d’acide sulfurique dans la Meuse
Point 8
Enquête parlementaire sur les coûts passés, présents et futurs de l’industrie nucléaire et notamment les coûts liés au risque d’accident
Échelle INES et accidents enregistrés par l’Agence de Sûreté Nucléaire
Point 9
Communiqué de presse d’EDF sur la disparition des cadenas de Flammanville
Article du Monde sur les survols par drones
Point 10
Scénario NégaWatt combinant efficacité et sobriété énergétique
ADEME sur la précarité énergétique
Point 11
Article des Echos sur l’impact de la canicule de 2003 sur le parc nucléaire français
Rapport de l’IPSN sur l’innondation de la centrale du Blayais en 1999
Article de l’Université de Taipei sur le lien entre typhons et tremblements de terre
Point 12
(28) Enquête de la cour des comptes sur le coût de la production de l’électricité nucléaire
(29) Etude Sortir du Nucléaire en 20 ans par Global Chance
(30) IPCC Annex III: Technology-specific cost and performance parameters. In: Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change
(31) Valuing the Greenhouse Gas Emissions From Nuclear Power: A Critical survey, Benjamin K. Sovacool and al.
13/11/2019
En septembre dernier à Montiers-sur-Saulx (pas loin de Bure) a eu lieu un rassemblement en mixité choisie. Le dimanche nous avons récolté quelques retours à chaud sur le week-end. Dimanche, le lend... Lire la suite
Publié à l’origine sur manif-est.info le 14 novembre 2019. Si les brûlots dont nous avait gratifié l’Est Républicain lors de la manifestation Vent de Bure ne nous avaient pas trop surp... Lire la suite