Pourquoi les lieux co autour de Bure devraient être vegan et refuser l’élevage

[Ce texte a été écrit par une personne et diffusé sous forme de tract dans les différents lieux collectifs autour de Bure le mois dernier. On est plusieurs à le trouver pertinent et à souhaiter qu’il soit diffuser plus largement. Voici une copie non modifié du texte original.]

[Suite à la publication, nous avons reçu une demande le 14 juin pour publier une réponse à ce texte. Vous la trouverez à la suite du texte] – 21 juin 2022


Ce tract a été écrit en réaction à une remise en question, au début de l’année 2022, de la norme qui veut que les lieux collectifs autour de Bure soient vegan.

Pourquoi je pense que tous les lieux collectifs autour de Bure devraient être vegan (et refuser l’élevage)

Alors déjà, les idées de transformation du monde qui me tiennent le plus à coeur, c’est les idées anarchistes / anti-autoritaires. Je pense que quand des individus exercent de l’autorité sur d’autres ou participent à des systèmes oppressifs, c’est problématique.

Et mes idées anti-autoritaires ne s’arrêtent pas à la frontière – arbitraire – de l’espèce. Exactement pour les mêmes raisons que je trouve ça problématique d’exercer de l’autorité sur des humain·e·s, je trouve ça problématique de le faire sur des non- humain·e·s.

Je trouve que l’élevage pratiqué par des humain·e·s – entretenir des animaux non-humains pour en retirer des bénéfices – c’est un système d’oppression particulièrement problématique. Surtout quand les humain·e·s en question pourraient se débrouiller autrement. Surtout quand ça implique d’enfermer les non-humain·e·s, de contrôler leur espace de vie, de les manipuler, etc.

Je trouve que le veganisme, en tant que pratique individuelle de boycott, c’est pas très intéressant. Par contre, je trouve que c’est un bon outil de propagande au sein d’un milieu politique. C’est un outil qui pointe du doigt le problème, qui dit « l’élevage, c’est problématique ». Et c’est un outil qui touche à la nourriture, donc qui prend de l’espace au quotidien, qu’on peut pas éviter.

J’aime bien les lieux collectifs autour de Bure, parce qu’on essaie d’y transformer le monde – de lutter contre Cigéo –, tout en essayant d’avoir des pratiques anti- autoritaires. On comprend que tout est lié, on veut tout faire à la fois, c’est radical, ça me plaît bien. Je pense que tous les lieux collectifs autour de Bure devraient être vegan (et refuser l’élevage).

Une remarque ? Une question ?
Peut-être que la FAQ (au dos de cette feuille) a la réponse !

FAQ (Foire Aux Questions)

Imposer le veganisme à Bure, c’est pas la priorité ! Attaque-toi plutôt aux élevages industriels…

Alors, je pourrais répondre « pourquoi pas les deux à la fois ? », je pourrais aussi répondre « industriel ou pas, l’élevage c’est problématique », mais il y a une autre réponse que je trouve plus intéressante. Je trouve ça particulièrement intéressant de faire de la propagande au sein des milieux politiques anti-autoritaires, parce que j’ai l’impression que c’est là que mes paroles ont le plus de chances d’être écoutées, comprises, partagées, et de mener à une transformation du monde. Et comme je trouve que le veganisme est un bon outil de propagande, j’aimerais bien imposer le veganisme à Bure.

Mais la norme du veganisme nous empêche de faire du lien avec la « population locale », de soutenir les « luttes paysannes »…

Je pense que c’est faire preuve d’un manque d’imagination que de croire qu’on ne peut pas faire de lien avec la « population locale » sans leur donner à manger du fromage ou sans acheter le lait de leurs vaches. Je pense qu’on peut soutenir des paysan·ne·s sans soutenir certaines de leurs pratiques.

Mais mon lieu c’est pas vraiment un lieu collectif, je peux y faire ce que je veux…

Si ton lieu utilise des ressources / énergies collectives, c’est probablement que ton lieu est un lieu collectif. Et puis le statut de « lieu collectif » est mouvant : si il y a un appel public à faire un pique-nique sur le rond-point de l’Andra, alors le rond-point de l’Andra devient un « lieu collectif » le temps du pique-nique.

Autre manière de voir les choses : si des personnes que tu invites dans ton lieu te font des critiques similaires à celles de ce tract et que ça t’embête, tu pourrais arrêter de les inviter dans ton lieu. Si tu ne te sens pas légitime de ne plus les inviter, c’est probablement que ton lieu est un lieu collectif.

C’est bien beau tout ça, mais l’antispécisme c’est impossible ! J’écrase des fourmis tous les jours, je vais quand même pas m’empêcher de marcher dans l’herbe…

Je pense que c’est pas parce qu’on arrive pas à éviter certaines pratiques problématiques (comme écraser des fourmis) que ça justifie de continuer celles qu’on pourrait éviter (comme pratiquer l’élevage).

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Réponse reçu le 14 juin 2022

Je ne consomme pas de viande, toutefois je ne me reconnais pas du tout dans ce texte et c’est l’une des raisons pour lesquelles je souhaitais y répondre.

L’autre raison est que je pense qu’on se fourvoie lorsqu’on parle d’anti-autoritarisme sur cette question là, et qu’il me brûlait d’écrire à ce sujet.

Je ne vais pas écrire un long texte pour répondre à celui-ci, mais simplement reprendre les points avec lesquels je ne suis pas d’accord et y répondre.

Avant de commencer : je tiens à dire que je m’exprime parce-que je souhaite participer au débat

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Premier passage : « Je pense que quand des individus exercent de l’autorité sur d’autres ou participent à des systèmes oppressifs, c’est problématique. »

Je trouve très problématique de se contenter de dire ça, sans expliquer pourquoi, ET sans montrer la complexité que contient ce terme : « autorité ».

– Défendre « chaque lieu devrait_imposer _le vegan », n’est-ce pas autoritaire ?

– L’autorité, c’est quoi ?

L’autorité, est-ce vraiment « mal » ?

En effet : poser des règles de vie dans un collectif, n’est-ce pas se soumettre à une autorité ? Discuter politique, et réfléchir à des manières de faire qui nous semblent en cohérence avec les idées qu’on défend, et essayer de suivre ces manières de faire, n’est-ce pas se soumettre à une autorité ?

Quand dans une discussion collective, on décide de ne pas prendre la parole sans avoir d’abord levé la main, quand on attend son tour avant de parler, n’est-ce pas là aussi se soumettre à une autorité ? Apprendre à un enfant à lire, n’est-ce pas là aussi faire preuve d’autorité ?

Dans ces cas-là, l’autorité, est-elle toujours une mauvaise chose, pour nous individuellement ou collectivement ?

Je pense qu’il y a une distinction essentielle à faire entre autorité et autoritaire :

L’autorité est une valeur que l’on reconnaît soi-même à quelqu’un ou à quelque chose. Elle recouvre ainsi toutes les tranches de notre vie et elle peut être bonne ou mauvaise selon la façon dont elle est posée.

Être autoritaire c’est forcer quelqu’un à obéir, peu importe ce que souhaite la personne qui obéit, peu importe ce qui est bon pour elle. C’est chercher avant toute chose la soumission.

Une fois tout cela dit, je pense que : fonder ce texte sur l’idée « quand des individus exercent de l’autorité sur d’autres ou participent à des systèmes oppressifs, c’est problématique » est profondément contradictoire, car :

– c’est dire : l’autorité c’est mal, l’élevage c’est faire preuve d’autorité, donc il faut (faire preuve d’autorité et) « imposer le véganisme à Bure » = contradiction.

/Imposer = Obliger quelqu’un.e à faire ou à subir telle action en se soumettant à un ordre/

– de plus, si on défend cette fois que l’élevage est une pratique autoritaire, et que le problème n’est pas tant l’autorité que l’autoritarisme ; alors OK, perso je veux bien le croire, mais seulement si on me l’explique : or on ne l’explique nulle part dans ce texte.

Et cela m’amène sur ce deuxième passage :

Deuxième passage : « L’élevage pratiqué par des humain·e·s – entretenir des animaux non-humains pour en retirer des bénéfices – c’est un système d’oppression particulièrement problématique. Surtout quand les humain·e·s en question pourraient se débrouiller autrement. Surtout quand ça implique d’enfermer les non-humain·e·s, de contrôler leur espace de vie, de les manipuler, etc. »

Ce qui m’ennuie beaucoup dans ce passage, c’est qu’on n’explique pas pourquoi on pense ça. En quoi c’est « un système d’oppression particulièrement problématique » ?

Je veux bien le penser moi, je ne suis pas braquée sur mes idées ; mais je ne vais pas non plus l’avaler comme ça. J’ai besoin de raisons pour penser quelque chose. Et des raisons dans ce texte je n’en trouve pas. Et ça me pose vraiment problème.

D’une part, parce-que ça me parait fondamental d’expliquer pourquoi on affirme une idée ( = l’élevage est un système d’oppression particulièrement problématique) et surtout quand on demande que cette idée soit imposée (= j’aimerais bien imposer le veganisme à Bure).

D’autre part, parce-que j’ai l’impression que dans ce texte on se permet de parler à la place d’animaux qu’on n’est pas sans expliquer davantage pourquoi on se situe dans cette position.

Dernier passage qui m’a fait réagir : « Je pense que c’est faire preuve d’un manque d’imagination que de croire qu’on ne peut pas faire de lien avec la « population locale » sans leur donner à manger du fromage ou sans acheter le lait de leurs vaches. »

Moi aussi je pense que rien n’est impossible sur cette question. Je pense qu’on peut s’entendre et faire ensemble malgré nos différences (culturelles, sociales, politiques…)

Mais je pense aussi que pour créer du lien avec des agri, en Meuse, autour de Bure, il est parfois important de faire des concessions sur ces petits gestes qui symbolisent une volonté de comprendre la vie et l’histoire de l’auteur. Car c’est montrer qu’on a envie de comprendre l’autre, et du même coup, c’est donner envie de faire pareil en retour. C’est cette logique de : si tu me demandes de te comprendre, alors ok, mais ne sois pas égocentré.e et fais un effort pour me comprendre en retour.

Je ne dis pas qu’il faut absolument faire ces concessions, je dis que la réalité n’est pas si simple que ce qui me semble être dit dans ce texte, qu’il se peut dans certains cas que l’on doive ou que l’on ait envie de faire des concessions, prendre sur nous, faire un pas vers l’autre.

Voilà, c’est tout ce que je souhaitais dire.

Merci de m’avoir lue

Ps : autre débat, mais je le dis quand même -> caractériser un être par ce qu’il n’est pas (ici « non humain »), ça me rend triste, et je me demande même si ce n’est pas humano-centré.

11/06/2022

antispécisme