NUCLÉAIRE, DÉBATS PUBLICS, DÉGATS PUBLICS (7)

Publié à l’origine le 11 mars sur le blog mediapart de François Vallet.

Françatomique et absence de débat public

Le 8 mai 1945, l’Allemagne nazie capitule, signant ainsi la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Le même jour, l’armée française en Algérie réprime très violemment des manifestations, nationalistes, indépendantistes, anticolonialistes, et tue plusieurs milliers de personnes (massacres de Sétif, Guelma et Kherrata).

Le 21 juillet 1945, le président américain Truman ordonne l’utilisation de bombes atomiques contre le Japon. Le 6 août 1945, l’armée américaine largue une première bombe à uranium sur Hiroshima, suivie le 9 août par une seconde au plutonium sur Nagasaki. Le 14 août 1945 le Japon capitule et signe l’acte correspondant le 2 septembre.

La soixantaine de millions de morts de la seconde guerre mondiale, résultat dramatique du fascisme et du nazisme soutenus par les industries de l’armement, ne ramène pas pour autant les dirigeants des pays ayant gagné la guerre dans une logique de paix. Une course aux armes atomiques s’enclenche immédiatement au prétexte de prévenir de nouveaux conflits entre « grandes puissances », en réalité pour assurer leur domination sur le reste du monde. Le général de Gaulle, alors Président du gouvernement provisoire, rencontre le président Truman à Washington quelques jours après le crime de guerre de l’armée américaine contre des populations civiles japonaises. De Gaulle, impressionné par ce qu’il a vu des activités déployées pour la mise au point des bombes atomiques (le projet Manhattan), demande en septembre 1945 à Frédéric Joliot-Curie, directeur du CNRS, et à Raoul Dautry, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, de mettre en place un organisme de recherche consacré à l’énergie atomique. Joliot-Curie est en effet la « bonne personne » pour cette mission. À la veille de la deuxième guerre mondiale il menait des recherches sur la possibilité de créer une réaction en chaîne en utilisant de l’uranium. Entre mai 1939 et mai 1940, avec Hans Heinrich von Halban, Lew Kowarski et Francis Perrin, il déposait cinq demandes de brevet. Trois concernent le principe et le fonctionnement des réacteurs nucléaires à fission. Les deux autres décrivent le principe d’une bombe atomique et celui de l’enrichissement de l’uranium.

Le 18 octobre 1945, après avis du conseil d’État, le général de Gaulle signe une ordonnance de création du commissariat à l’énergie atomique (CEA). Son rôle est de poursuivre « les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans divers domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale. Il étudie les mesures propres à assurer la protection des personnes et des biens contre les effets destructifs de l’énergie atomique. Il organise et contrôle (…) la prospection et l’exploitation des gisements de matières premières nécessaires. Il réalise, à l’échelle industrielle, les dispositifs générateurs d’énergie d’origine atomique. … ». Frédéric Joliot-Curie est alors nommé haut-commissaire à l’énergie atomique et Raoul Dautry administrateur général du CEA.

Dès juillet 1946, les équipes du CEA réalisent des opérations de raffinage de concentrés de minerai d’uranium provenant d’Afrique. En 1948, elles utilisent l’uranium purifié dans la « pile » Zoé, réacteur à eau lourde construit par l’équipe de Joliot-Curie. L’année suivante elles extraient le premier milligramme de plutonium du combustible usé de Zoé. Le CEA dispose alors des deux technologiques de base nécessaires à la production de bombes atomiques. Mais Joliot-Curie, membre du parti communiste français, lance le 19 mars 1950 l’appel de Stockholm contre la bombe atomique (l’Union soviétique avait fait exploser sa première bombe expérimentale le 29 août 1949). En avril 1950, Joliot-Curie est révoqué de son poste. La mise au point de l’arme atomique française continue sans lui. En 1958, Félix Gaillard, nouveau président du Conseil, décide qu’il faut organiser un premier essai nucléaire français. En 1960 le CEA réalise l’opération « Gerboise bleue » dans le Sahara algérien. Entre 1960 et 1996, la Françatomique effectue 210 essais nucléaires, d’abord dans le Sahara algérien puis en Polynésie française.

Des voix s’élèvent à différents moments de ce processus de contamination généralisée, notamment aux États-Unis, en Angleterre, en France ainsi qu’au Japon, pour s’opposer à cette course à la puissance destructrice de l’atome aux conséquences dramatiques. Mais les oppositions ne sont ni assez nombreuses, ni soutenues politiquement pour stopper l’alliance de politiciens, de chercheurs, d’industriels et de banquiers, avides de puissance, de reconnaissance, de gains démesurés. Le nucléarisme est un aveuglement collectif funeste dont l’AIEA devient le porte-voix en 1957.

Pseudo indépendance stratégique de la France et dégâts géopolitiques du nucléaire

Dès 1945 l’arme atomique et l’énergie nucléaire sont présentées comme des moyens indispensables pour assurer notre indépendance stratégique et énergétique et pour dissuader des pays hostiles de nous agresser militairement.

Tous les moyens de l’État français, de l’armée, du CEA (créé en octobre 1945), d’EDF (créée en avril 1946), sont alors déployés pour développer la recherche et produire des armes atomiques à uranium enrichi dans un premier temps, puis des réacteurs de production de plutonium, adaptés ensuite pour la production conjointe de plutonium et d’électricité. Le CEA exploite alors des mines d’uranium en France métropolitaine. Il poursuit le développement des trois technologies de base nécessaires à la fabrication des armes atomiques, à la production d’électricité et à la propulsion des sous-marins : l’enrichissement de l’uranium, les réacteurs nucléaires à fission (de plusieurs types dont certains adaptés à la production de plutonium) et l’extraction du plutonium des « combustibles » issus des réacteurs. Pour autant, la France n’est pas complètement autonome pour son approvisionnement en uranium fortement enrichi nécessaire au réacteur de sous-marin développé dans les années 1960 par le CEA. Ce « combustible » lui est fourni par les États-Unis à des fins de recherche. La France ne dispose pas non plus d’espaces faiblement peuplés sur le territoire métropolitain pour les essais de bombes atomiques de forte puissance.  Le Sahara algérien, avant et après l’indépendance de l’Algérie, puis les atolls de Polynésie, avant qu’elle obtienne son statut d’autonomie, sont durablement contaminés par les retombées radioactives des essais. Les populations locales en subissent et en subiront les conséquences à très long terme. Les relations entre les gouvernements successifs français et algériens d’une part, de Polynésie d’autre part, sont aussi durablement affectées du fait du peu d’empressement, côté français, à prendre en charge les dégâts et l’indemnisation des victimes.

Par ailleurs, les coûts de la recherche, les coûts de production et de maintenance de l’arme atomique et des vecteurs associés, les coûts de production d’électricité nucléaire et des installations dont elle a besoin en amont et en aval des réacteurs, sont difficilement supportables pour un petit pays comme la France. C’est pourquoi l’État français et l’industrie du nucléaire cherchent, d’un coté à mutualiser des dépenses et à se procurer des produits et des services moins chers à l’étranger qu’en France, de l’autre côté à exporter des produits et services à haute valeur lucrative notamment du fait de l’entrée en vigueur du traité de non-prolifération nucléaire en 1970. De nombreux exemples illustrent ces deux aspects de la géopolitique du nucléaire, de ses dégâts et des revirements d’alliances auxquelles elle conduit au détriment des valeurs auxquelles elle est censée être soumise (le concept « d’atomes pour la paix »).

Par exemple, en 1956 au lendemain de la crise de Suez, la France et Israël collaborent pour mettre au point rapidement une bombe atomique. La France construit clé en main une usine nucléaire dans le désert du Néguev (Dimona). Au début des années 1960, la collaboration cesse avec le retour au pouvoir du général de Gaulle. Il sait qu’il peut compter sur une arme atomique opérationnelle et veut se démarquer d’Israël pour promouvoir une nouvelle politique arabe suite à l’indépendance de l’Algérie. Ça n’empêchera pas Israël de développer son arsenal nucléaire.

Quelques années plus tard, en 1974, le gouvernement français décide de participer au programme nucléaire de l’Iran en sachant que ce pays, alors sous le règne du Chah, souhaite fabriquer la bombe atomique. Un accord est signé pour la construction d’une centrale nucléaire et la participation de l’Iran à hauteur de 10% du capital de la société Eurodif, consortium européen pour la production d’uranium enrichi dans l’usine en construction du Tricastin. En contrepartie de cette prise de participation et d’un prêt de 1 milliard de dollars à la France pour faciliter le financement de l’usine, l’Iran devait disposer de 10% de sa production. La révolution iranienne en 1979, puis la guerre entre l’Iran et l’Irak, interrompent la mise en œuvre de l’accord, de la livraison de l’uranium enrichi et du remboursement par la France du prêt iranien. S’en suivra une vague d’attentats en France dont certains attribueront la responsabilité au nouveau régime iranien.

Actuellement, l’approvisionnement en uranium, mais aussi en métaux (par exemple le zirconium) indispensables à la fabrication des « combustibles » nucléaires, provient entièrement de l’étranger et d’un nombre restreint de pays. Par ailleurs, EDF achète à la société Rosatom des prestations d’enrichissement, en Russie, d’uranium provenant du Kazakhstan. EDF achète aussi à cette société le ré-enrichissement de l’uranium de retraitement et « oublie » au passage de récupérer les résidus radioactifs de cette activité. Ils peuvent contaminer durablement le territoire russe.

La France, pour produire et déployer ses armes atomiques, est empêtrée dans un enchevêtrement de relations géopolitiques toxiques. Elle en dépend pour son approvisionnement énergétique, pour la propulsion de ses sous-marins atomiques et pour une partie de ses activités industrielles. Le choix du nucléaire, qui ne nous protège pas de possibles agressions militaires, en aggrave potentiellement les conséquences. Il empoisonne aussi nos relations avec de nombreux pays du monde.

La résistance à la Françatomique et aux relations géopolitiques toxiques est plus que jamais nécessaire.

Pour plus d’informations

Observatoire des armements : https://www.obsarm.info/spip.php?rubrique52

L’histoire des brevets de base de l’équipe Joliot : https://www.dissident-media.org/infonucleaire/protection_brevet.html

Comment Shimon Peres a obtenu de la France l’arme nucléaire

https://www.francetvinfo.fr/monde/moyen-orient/israel-comment-shimon-peres-a-obtenu-de-la-france-l-arme-nucleaire_3062915.html

Approvisionnement en uranium : la France sous pression sino-russe

https://www.portail-ie.fr/univers/enjeux-de-puissances-et-geoeconomie/2024/approvisionnement-en-uranium-la-france-sous-pression-sino-russe/

12/03/2025

colonialisme
françafrique
guerre
militaire

    Et sinon, 107 jours avant
    on écrivait ça
    sur le même sujet.

    [Brême/All.] Feu pour KAEFER ! Sabotage de l&rs...

    Article publié à l’origine sur de.indymedia.org Attaque antimilitariste contre le groupe KAEFER Ce qui est destructeur doit être détruit. Nous avons mis le feu à deux véhicules de l’entrepris...   Lire la suite