Nucléaire : Du tritium à Grenoble

Trouvé sur le site ici-grenoble.org, publié le 14/03/2023.

Depuis 6 ans, le média ici Grenoble alerte sur une réalité peu connue des Grenoblois-es : l’existence d’un réacteur nucléaire de recherches à quelques kilomètres du centre-ville de Grenoble, et la nullité affolante du plan d’urgence officiel en cas d’accident grave (attentat, incendie, chute d’avion…).

Chaque année, une Commission Locale d’Information se réunit pour faire le point sur les installations nucléaires de Grenoble, en présence des autorités concernées. Cette réunion est officiellement publique. Dans les faits, rares sont les personnes au courant de la date et du lieu.

Quel est le contenu de ce type de réunion ? Quelles sont les dernières actualités du réacteur nucléaire de Grenoble ? Quels sont par exemple les rejets radioactifs dans l’Isère ? Quelle quantité d’eau est-elle pompée pour refroidir le réacteur ?

Des militante-s de Sortir Du Nucléaire Isère ont assisté à la dernière Commission Locale d’Information, fin 2022. Voici le récit de cette réunion si particulière :

« Il s’agissait donc de la réunion publique annuelle de la Commission Locale d’Information du Commissariat à l’Energie Atomique de Grenoble et de l’Institut Laue Langevin, qui a eu lieu le 19 octobre 2022.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle réunion a lieu, mais c’est la première fois que des militant-es de Sortir du Nucléaire Isère (SDN38) ont pu y assister. En effet, bien qu’il s’agisse de réunions ouvertes au public, très peu de publicité est faite, seuls les habitants résidant dans les quartiers voisins sont informés, généralement peu de temps à l’avance.

Nous pensons au contraire que toute personne résidant dans l’agglomération grenobloise devrait être au courant des activités et des impacts des installations nucléaires de la Presqu’île. C’est pourquoi nous publions ce récit.

Le CEA est mieux connu que l’Institut Laue Langevin. Cet institut international exploite un réacteur nucléaire de recherche, qui génère un flux de neutrons à partir d’un cœur d’uranium ultra-enrichi.

Alors que les installations nucléaires du CEA Grenoble ont toutes cessé leurs activités et sont démantelées, le réacteur de l’ILL continue à rejeter sur notre agglomération et dans l’Isère un cocktail d’éléments chimiques et radioactifs. Les rejets radioactifs sont principalement gazeux et composés d’une forme radioactive d’hydrogène, le tritium.

La réunion a duré deux heures. 23 personnes étaient présentes, dont les membres de la CLI : sa présidente Anne Gérin, adjointe au Maire de Voreppe ; un représentant de la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRIIRAD) ; Vincent Fristot, adjoint au Maire de Grenoble ; Jacques Monteillier, conseiller municipal de Saint-Egrève ; M. Zelnio de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) ; un représentant du CEA ; deux directeurs adjoints de l’ILL (dont celui en charge de la radioprotection). Parmi le public, trois membres du bureau de SDN38.

La réunion a consisté en une alternance de présentations et de temps de questions / réponses.

La première présentation a été faite par l’ASN et portait sur le déclassement des deux dernières Installations Nucléaires de Base du CEA.

Nous en retiendrons que suite aux travaux de démantèlement et de décontamination, des roches contaminées par des produits chimiques et de la radioactivité subsistent en profondeur. En raison de la difficulté à les retirer, il a été décidé de les laisser en place.

L’étude d’impact affirme que le risque radiologique est compatible avec des constructions, mais pas avec des cultures destinées à la consommation (potagers notamment). Une surveillance des eaux souterraines doit être mise en place, la construction d’habitations sera interdite.

Les questions ont permis de souligner le fait que la surveillance n’est prévue que pour « 10 – 20 ans » si rien de spécial ne se passe, alors que les polluants ont une durée de vie bien plus longue ! Si malgré tout la surveillance montre qu’il y a un problème, il est prévu que le CEA rende compte au préfet et qu’un arrêté soit pris pour y remédier. Par exemple des actions d’assainissement pourraient être à nouveau envisagées…

[Ici nous interrompons le récit pour glisser deux petites remarques : d’une part on constate que le CEA est son propre contrôleur ; d’autre part, si on construit des bâtiments, pourra-t-on intervenir pour récupérer les produits dangereux, alors que c’est déjà si compliqué avec un sol à nu ?]

La deuxième présentation concernait le réacteur de l’ILL et a été menée par le directeur adjoint de l’institut.

Nous apprenons notamment que L’ASN a donné son feu vert pour la poursuite des activités de l’ILL jusqu’en 2027 et que le réacteur a été arrêté pour maintenance durant 16 mois (reprise fin février).

SDN38 a interrogé le directeur sur la variabilité des rejets de tritium de l’ILL. Ces rejets qui ont atteint un maximum de 200 mille milliards de Becquerels en 1979, oscillent ces dernières années entre 14 mille milliards et 5 mille milliards de Becquerels [note : 1 Becquerel = 1 désintégration par seconde].

Réponse : L’ILL a réduit ses rejets au cours des années en améliorant le confinement du tritium. Pendant les arrêts pour travaux il y a plus de rejets à cause des manipulations qui entrainent un déconfinement du tritium. Les travaux périodiques permettent de pallier la vétusté du matériel. En 2023 un nouvel arrêt pour travaux de 9 mois est programmé.

L’ASN a mené la troisième présentation, qui concernait le réexamen périodique de l’ILL (visite décennale) qui vient de s’achever, examen durant lequel L’ASN vérifie la conformité de l’installation aux règles de sûreté, et exige des améliorations (cette exigence d’amélioration continue étant une spécificité française).

La CRIIRAD a demandé des précisions sur une des préconisations de l’ASN (évacuation en toute sécurité du dihydrogène radioactif de l’ancienne installation de détritiation).

Réponse : Des réservoirs de gaz étaient encore présents dans les locaux de cette installation arrêtée en 2004. L’ASN a demandé qu’une solution soit trouvée pour les éliminer.

Le directeur adjoint précise que cette installation permettait de réduire les rejets. Le gaz stocké sera transformé en eau tritiée (moins volatile que le gaz), qui sera envoyée au Canada. Des envois de fûts d’eau tritiée vers le Canada ont déjà eu lieu par le passé ; ce pays exploite des réacteurs CANDU et sait traiter le tritium.

[Petite explication hors récit de la réunion : les réacteurs CANDU ont un fonctionnement similaire à l’ILL et sont donc eux-mêmes des gros producteurs de tritium. Ils polluent notamment les Grands Lacs. La loi française permet d’exporter des déchets pour traitement, mais normalement ces déchets doivent revenir au pays d’origine. Le devenir de ces fûts d’eau tritiée reste à éclaircir.]

La quatrième et dernière présentation a été faite par l’adjoint de direction de l’ILL chargé du service radioprotection. Elle concernait le projet de révision des limites de rejets et de prélèvement d’eau.

D’après les modélisations de l’ILL, l’impact sanitaire et environnemental des rejets est négligeable.
L’ILL propose d’abaisser les limites d’autorisation de rejets lorsque ses rejets actuels sont très en dessous. Par ailleurs, L’ILL demande de pouvoir puiser dans la nappe alluviale du Drac et veut augmenter le débit de prélèvement dans le Drac.

La CRIIRAD a demandé quelles nouvelles limites de rejets sont visées par l’ILL pour le tritium et les autres radionucléides.

Réponse : L’ILL ne demande pas de baisse de la limite pour les rejets de tritium, mais pour d’autres radionucléides. Actuellement l’ILL a une limite de 75 mille milliards de Becquerels pour le tritium, qu’il souhaite conserver dans l’optique des travaux envisagés.

Pour d’autres substances, l’ILL rejette environ 1% de la limite, dans ce cas une baisse de la limite est logique.

Vincent Fristot regrette que la limite pour le tritium ne soit pas baissée, alors qu’on est actuellement à 15% de la quantité autorisée en moyenne. Il demande aussi des éclaircissements sur les modifications des prélèvements et rejets d’eau.

On apprend ainsi que l’eau de refroidissement du réacteur est prélevée dans le Drac, qui s’est réchauffé. Pour éviter de rejeter une eau plus chaude tout en maintenant les capacités de refroidissement de l’ILL (mais aussi des installations du CEA, du CNRS, de l’ESRF, qui utilisent aussi ce captage), l’ILL demande l’autorisation permanente de pomper plus d’eau.

[Remarque : des demandes ponctuelles d’autorisation d’augmenter le prélèvement sont déjà régulièrement faites ; elles sont toutes acceptées même en été]

L’eau de dilution des rejets radioactifs et chimiques est aussi prélevée dans le Drac, mais il est déjà chargé en polluants, l’ILL ne peut donc pas en rajouter beaucoup sans dépasser la limite de pollution autorisée.

Du coup, l’ILL demande de pouvoir à nouveau pomper de l’eau propre dans la nappe alluviale du Drac (comme c’était le cas autrefois, via un puits appartement au CEA). L’eau ainsi polluée est ensuite rejetée dans l’Isère. Mais le débit de l’Isère est chroniquement bas. L’ILL demande donc d’abaisser la limite de débit de l’Isère lui permettant d’effectuer ses rejets.
[Ainsi l’ILL va salir une eau propre et polluer davantage l’Isère.]

SDN38 a soulevé la question de l’impact sanitaire des rejets radioactifs totaux (gazeux et liquides). Actuellement les données publiées par l’ILL sont de l’ordre d’une exposition chronique aux très faibles doses, mais par le passé les rejets étaient plus importants et cumulés avec ceux du CEA ; il y a donc probablement eu des effets sanitaires non négligeables et qui devraient être encore visibles aujourd’hui.

Il nous a été répondu que, d’après les calculs de l’ILL, l’impact quotidien des rejets est en moyenne de l’ordre du nanosievert, donc très inférieur au débit de dose ambiant, et que, concernant le tritium, la limite fixée par l’OMS est de 10000 Becquerels/ litre.

L’ASN a renchéri en affirmant que ce qui compte c’est l’impact dosimétrique, pas le rejet.
[Nous considérons au contraire que l’impact dosimétrique est calculé en fonction de normes discutables, alors que le rejet est exprimé en Becquerels, qui est une mesure physique objective. A l’état naturel, dans l’eau douce il y a 0,3 à 0,6 Becquerels/litre de tritium ; nous pensons que la limite fixée par l’OMS doit être revue.]

En fin de réunion il est décidé que l’ASN proposera que la question des rejets soit discutée en groupe de travail interne à la CLI avec notamment la ville de Grenoble et la CRIIRAD.

SDN38 a demandé à la présidente de CLI l’autorisation de lui envoyer des questions subsidiaires par mail. M. le directeur adjoint à la radioprotection s’est montré désireux de répondre aux questions que nous n’avons pas pu poser et que Mme la présidente pourra lui transmettre.

Nous ne manquerons pas de vous faire part des questions que nous poserons, et des réponses, si nous en recevons…

Pour nous suivre, nous rejoindre, plus d’infos : blog.sdn38.info »

* * *

COMPLEMENT : Les coulisses du réacteur nucléaire de Grenoble…

Depuis 6 ans, à chaque fois que le média ici Grenoble aborde le sujet des risques nucléaires du réacteur de grenoble avec une personne travaillant au Commissariat à l’Énergie Atomique de Grenoble, la réponse est presque toujours la même : « Vous affolez les gens pour rien, les personnels de l’Institut Laüe Langevin sont très sérieux ».

Très sérieux, vraiment ?

Pour un petit aperçu hallucinant des coulisses du réacteur nucléaire de Grenoble, nous vous recommandons la page 2 et 3 d’un courrier de l’Autorité de Sûreté Nucléaire adressé cet été à l’Institut Laüe Langevin : Courrier du 22 juillet 2021, Surveillance des intervenants extérieurs.

Vous aimeriez découvrir tous les courriers adressés par l’Autorité de Sûreté Nucléaire à l’ILL ? Ils sont disponibles ici.

Vous avez envie de savoir qui contrôle la radioactivité près du réacteur nucléaire de Grenoble ? C’est ici

21/04/2023

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