Ce texte a été écrit à 4 mains ainsi que quelques retours. Toutes les parties entre guillemets sont des extraits du livre édité en 2022 de la pièce de théatre sauf si c’est précisé autre chose.
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J’ai lu « Nucléaire solitude ».
Des années qu’on me parle de cette pièce – plutôt en bon terme – maintenant disponible en livre. On me l’a décrite comme drôle, cinglante, une belle critique du polyamour et du milieu militant. Et moi, j’aime bien rire – et comme tout le monde, j’aime aussi critiquer mon propre milieu.
J’ai lu, donc.
Et c’était drôle. Et c’était très bien écrit. Mais – du début jusque la fin : malaise. A tous les étages, cette pièce diffuse des théories patriarcales et développe différents niveaux de violence. Pourquoi ce texte tourne avec autant d’aisance dans les milieux militants ? Pourquoi mes ami.e.s militant.e.s adorent ?
Ce que je note en premier, c’est comment le personnage d’Héma reprend à sa sauce une théorie centrale des Incels – qui leur permet de justifier toute la violence qu’ils peuvent exercer sur les personnes avec lesquels ils veulent relationner. Cette théorie – celle des dominants sexuels, expliquent qu’il y aurait 20 % d’hommes qui s’accaparent 80 % du bétail des femmes. Ces 20 % sont les mâles alpha – des hommes dont la dominance leur permet de choisir les « meilleures » meufs. Cette logique de marché oblige donc les mâles bêtas à redoubler d’effort pour chopper une meuf potable – qui pourtant vaut souvent moins qu’eux… Les Incels – la contraction de « Involuntary Celibate » (therme anglais qui peut se traduire par « célibataire involontaire ») – se décrivent comme des gens qui subissent la dominance sexuelle. Parce qu’ils sont bas sur l’échelle de la séduction, ils sont frappés de célibat et ne peuvent pas se réaliser en tant qu’individu. Ils ont deux ennemis : les femmes et le féminisme.
Les femmes sont trop connes (en gros) pour arrêter de s’intéresser aux alphas avec lesquelles elles n’ont pas leur chance. Elles détiennent le pouvoir de mettre fin à leur solitude, et leur refus de s’accoupler avec eux est une violence ultime justifiant la haine des Incels.
Au travers du couple, les Incels voit la promesse d’une sécurité émotionnelle et sexuelle, mais aussi de statut social : une preuve de respectabilité auprès d’autres mâles et de toute la société entière. Refuser le couple, c’est leur refuser l’accomplissement de leur être en tant qu’individu.
Par ailleurs, j’encourage à se pencher sur la notion de solitude des Incels. Elle n’est pas nécessairement liée au manque de relation : être seul n’est pas la condition de leur solitude. Leur solitude est profondément liée à une détresse émotionnelle, et au manque d’une personne qui prend en charge cette détresse. Si couple il y a, mais que ces promesses ne sont pas remplies, c’est que la femelle en question est défectueuse, et fait partie des déchets…
Le féminisme, l’autre ennemi des Incels, tend à produire des individus indépendants et qui refusent de travailler obligatoirement aux conforts émotionnelles des autres – ou en tout cas qui le conscientise plutôt que de le prendre pour acquis… Par ailleurs, ne vous inquiétez pas : comme toutes les doctrines patriarcales, le genre n’empêche pas d’y adhérer, et en tant que femme vous pouvez aussi être incel – « femcel » exactement. Un versant avec quelques différences, qu’on ne va pas détailler ici, mais qui repose aussi essentiellement sur cette histoire d’économie de marché du cul et de la pyramide de la désirabilité.
Pour revenir à la pièce, dans Nucléaire Solitude, il est très clair que Héma et Hétonque ont 2 ennemis : les dominants sexuels et l’amour libre. Très rapidement, iels décrivent un ordre sexuel qui n’a rien à envier aux théories incels :
P28.
[…] certains personnes se plaignent d’être trop aimées, et d’autres de ne pas l’être assez. Comme si l’accès aux relations intimes était inégal et réglementé pas une structre, la Grande Hiérarchie Sexuelle.
Hétonque expose le panneau portant un shéma pyramidale. A chaque échelon, des personnages regardent vers le haut d’un air ébahi, et au sommet trônent des photographies d’une femme et d’un homme incarnant la quintessence des critères de beauté de notre époque.
Cette hierarchie n’est pas fixée, elle est floue, elle dépend des contexte. Encore heureux sinon on n’aurait qu’à tous.tes se flinguer. »P 81: « Malheureusement, ma fâcheuse tendance à être attirée par cet oxymore qu’est le leader anarchiste me condamna bien souvent à la fois à l’abstention et à l’abstinence. L’occupation du bois fut pour moi une période intense, puisque je me faisais larguer en moyenne tous les trois mois au lieu de tous les trois ans comme avant. Mais au moins, cette fois c’était au nom d’une noble cause: l’Amour libre. La première fois, j’ai eu peur. La deuxième fois: j’ai eu mal. La troisième fois, j’ai eu envie de mourir. Mais quand même, ça valait le coup de vivre cela, ça valait même le coup de me faire mettre euh… en examen, parce que deux fois, j’ai fait l’amour dans une barricade. »
Sous couvert d’humour – oui, le trait est manifestement grossi – il est posé comme un état de fait cette hiérarchie sexuelle : il y a ce.lleux qui baisent et sont baisables, et ceux qui ne baisent pas et ne sont pas baisables. Il s’entremêle assez tôt la confusion entre rapports sexuels, rapports relationnels et affectifs… Héma et Hétonque se posent du côté des oppressé.es de cette hiérarchie, et une grande partie de cette pièce va se concentrer sur l’explication des mécaniques de manipulation des dominants sexuels pour garder leur privilège.
Une chose qui frappe quand on lit ce texte, c’est qu’il ne s’embarasse pas d’expliquer ses évidences.
Pour un texte qui politise quelque chose d’aussi important que les dominances relationnelles, rien n’est très spécifié. Lorsque Héma décrit les dominants sexuels, elle ne situe jamais ces personnes. On ne sait pas qui sont ces gens, ces fameux « dominants sexuels » : ils n’ont pas de caractéristiques autre que ne pas vouloir être en relation avec elle… ou plutôt : de ne pas vouloir répondre entièrement à sa détresse émotionnelle. Parce que pour un texte qui évoque la solitude, les personnages ont l’air assez peu seul.e. Héma, notamment, dira elle-même qu’en vivant dans le Bois Lejuc, elle passera de « se faire plaquer tout les 3 ans à tout les 3 mois »… Pour se faire quitter autant, il faut en vivre, des relations. Bref.
Cette présentation des dominants sexuels jouent sur nos biais féministes. Le terme « dominant » évoque l’image d’un mec cis blanc hétéro, qui aurait le même âge que Héma (environ 45 ans)… Et là, il faut dire que connaître la vérité derrière les histoires qui alimentent Nucléaire Solitude est un peu utile.
Parmi les personnes présentés en relation avec Héma, certaines ne sont pas des mecs cis blancs hétéros de 40 ans, avec un long historique relationnel : il y a aussi des jeunes personnes. On vous propose de relire ces extraits, avec la connaissance qu’il concerne une personne, de 24 ans, une femme trans, à l’époque dans le placard, dont Héma (plus de 40 ans, donc) est à ce moment là, la première relation…
« Hétonque : Ouais, c’est cool les câlins, mais là faut vraiment que j’aille discuter toute la nuit avec cette fille qui a quinze ans de moins que toi. »
Hétonque : Je t’adore, hein. Mais il faut absolument que je passe la nuit dans un arbre avec cette fille qui a vingt ans de moins que toi ».
« Hétonque – Je t’aime, je t’aiiime. Mais ça te va si je me rapproche de cette fille qui a vingt-cing ans de moins que toi ? ». »
[Ces extraits dans la pièce sont censés être une parodie de moments de relation, pas des citations exactes.]
C’est assez différent, en terme de domination, lorsque « vouloir passer la nuit avec une fille de vingt ans de moins que toi » signifie « vouloir passer la nuit avec une fille du même âge que moi »…
Une subtilité d’écriture dont Héma joue, tout du long, afin d’effacer ses propres biais de domination : son âge, son expérience, sa posture. Son obsession pour l’âge [1] est curieusement invisibilisé lorsqu’il s’agit de qualifier ces fameux « dominants sexuels ».
Dans une brochure parut récemment, « Transmisogynie et culture du viol dans les milieux féministes / queers / tpg /militants« , il y a un petit passage qui dénonce les violences relationnelles commises par Héma. On y trouve cet extrait, qui parle de l’usage de la différence d’âge comme moyen de pression dans la relation.
« tu veux me quitter pour faire du sexe avec des filles plus jeunes et plus jolies ». […] Elle a comparé le fait que j’étais attirée par une femme de mon âge à « donner de l’argent aux riches plutôt qu’aux pauvres », thème qu’elle a développé sur 15 lignes. »
[Transmisogynie et culture du viol]
L’écriture de cette pièce est dès le départ une opération de séduction. Les auteur.es s’inquiète plus de notre adhésion émotionnelle que de la vérité. Ca permet de mettre en scène l’histoire mythique du Gentil Amour contre Le Méchant Monde. Pour ça, on est prêt.e à détourner et omettre des informations non-négligeables : l’écriture de cette pièce est non seulement mensongère mais aussi manipulatoire. Les auteur.e.s se contredisent, puisque le simple but est de continuer à apparaître comme les victimes de ces fameux dominant.e.s.
Or, lorsqu’on pose que des personnes sont dominantes, il faut démontrer leur mécaniques d’abus. Le principal argument de preuve d’abus est la souffrance que Héma et Hétonque ressentent dans leurs relations. Cette souffrance vient essentiellement du fait de ne pas avoir accès à l’Amour avec un grand A – romantique, exclusif, etc…
Dans une des scènette, il y est dit sur le sentiment d’amour que ce n’est pas parce que tu ne peux pas répondre au besoin d’amour d’une personne, que tu dois la traiter comme malade ou infréquentable. Mais aussi, dans pas mal de scénettes de la pièce, il est assez clair que ne pas répondre à l’amour est une faute.
Ces deux choses, ensembles, nous questionne : il n’est jamais interrogé la responsabilité de la personne qui « subit » le manque d’amour, et ses réactions. Par exemple, dans la partie qui parle de comment les gens ne savent pas mettre de râteau, il n’est pas abordé comment recevoir un râteau. Or, on a des exemples de comment la personne réagit : et il semble être acceptable que lorsqu’on se prend un rateau, on puisse répondre : « si je suis dépressive c’est que tu ne veux pas être avec moi ».
Il a l’air de se construire un discours où quoi qu’il en soit, la personne en face – celle qui n’aime pas assez, celle qui veut rompre – est en tord. Et même si on peut comprendre qu’il est frustrant de ne pas être aimé réciproquement : à quoi ressemble une relation où il n’est pas OK de se quitter ? Une relation qui met sous pression d’aimer ?
Culpabiliser les gens de vouloir partir, ou de ne pas ressentir les mêmes choses que nous, créé des conditions favorables pour qu’à la suite d’une rupture, les personnes ait cette envie pressante de fuire – et nous traite comme « infréquentable ».
L’insatisfaction et la frustration des personnages retombe sur les personnes avec lesquelles iels sont en relation. Ces émotions sont utilisées comme une moyen de pression. Dans l’exemple au dessus, le désespoir de Héma est la responsabilité de ses relations. On appelle ce mécanisme du chantage affectif et relationnel, qui peut être un outil pour forcer l’autre à rester dans la relation ou à obtenir de la sexualité.
Les concepts qui sont developpés dans cette pièce ne sont pas abstraits. La brochure « Transmisogynie et culture du viol » dénonce comment ces idées sont utilisés dans certaines relations qu’Héma avait : arrivant jusqu’à la violence psychique (insulte, cri, harcélement, culpabilisation), physique et sexuelle sur la personne qu’elle identifie comme « dominant sexuel » et donc responsable de ses mal-êtres. Quelques citations de mecanisme de chantage affectif appliqué dans la vie réelle: « t’as jamais été amoureux de moi sinon tu me quitterais pas » […] « si tu veux pas être en relation exclusive avec moi c’est que t’es pas amoureux de moi, et si t’es pas amoureux de moi t’es un dominant sexuel !!! »
« J’ai commencé à lire des brochures féministes qui parlaient de non-exclusivité. Tout ce que je lisais avait du sens pour moi, c’était logique, ça correspondait aux idées que j’avais depuis l’enfance, à ma manière de voir les autres. […] Constater qu’on avait envie de fonctionnements différents et mettre fin à notre relation n’a jamais été une option pour elle : elle me faisait seulement des reproches et elle me culpabilisait violemment. Ce jour-là, on a fait du sexe, elle était au-dessus de moi et me baisait en disant qu’elle était en colère contre moi, tellement en colère, que ça lui faisait tellement mal. Je me sentais écrasée, mal à l’aise et coupable, je ne savais pas quoi faire, l’impression que c’était ma responsabilité de la soulager. Je me suis dit que ça l’aiderait peut-être de me frapper pour décharger sa colère. Je lui ai demandé « est-ce que ça te ferait du bien de me frapper? », elle a dit oui. Elle m’a donné des coups de poing pendant un moment. J’ai réalisé que j’étais terrifiée. J’ai accueilli ses coups et sa douleur. Je croyais que c’était ma faute, ma responsabilité, mon rôle.
Peu après j’ai décidé de mettre fin à notre relation. Je lui ai annoncé. Elle a négocié pour que je change d’avis, m’a culpabilisé comme toujours. »
[Tiré de Transmisogynie et culture du viol]
En lisant cette partie écrite par une des personne en relation avec Héma, il est intéressant de mettre en lien avec la citation de leur spectacle et se reposer la question, à qui profite les textes qui parlent de relations affectives?
P 72 de nucléaire solitude: [en abordant les brochures du milieu militant parlant de relation] « Ce qui nous amène à la question: « À qui profite les brochures sur les relations affectives? ». Elles profitent aux dominants sexuels qui ne jurent que pas la rationalité et demandent à leurs partenaires de se fragmenter, de cacher leurs parts les plus sensibles. Ils se prétendent déconstruits alors qu’ils perpétuent le pouvoir séparateur et créent des contre-normes.«
La partie la plus problématique de la pièce est celle qui explique que les gens ne savent pas donner des rateaux. Le parti pris est de dire que les gens font exprès de ne pas mettre « des bons rateaux » pour garder de l’ascendant sur les relations. Ensuite, on nous annonce la couleur directement : il faut dire oui, ou non, et tout ce qui est entre les deux : c’est de la manipulation… (Ca ne vous rappelle pas une réthorique patriarcale ?) Dans cette partie, on nous liste les « techniques » utilisées par les « dominants sexuels ».
Attention, tout ce qui y est dit est à l’inverse des bases féministes du consentement.
– Dès la 1ere technique, on nous explique alors que le silence n’est pas un non (« S’il y a parmi vous des gens qui pensent que le silence un message clair, la réponse est non »).
– Technique n2 : la personne répond « pas maintenant » à une relation. Cette réponse n’est pas un « vrai non » et est donc, pour Nucléaire Solitude, inacceptable.
– Technique n°4 : ne pas savoir. Apparemment, ne pas être sûr.e de vouloir une relation qui dure est une violence sur l’autre. On se demande : qu’en est il pour les personnes polytraumas qui ont souvent besoin de temps pour reconnaître leurs propres envies ?
– Dans la technique n5 intitulé « blocage pas si impossible à surmonter », il y est dit: « Le pauvre, il est bloqué, il souffre, alors vous mettez vos envies de côté, vous lui laissez du temps, puis vous apprenez qu’il a une relation intime avec quelqu’un d’autre ».
Déjà, cette partie n’a rien à voir avec un rateau relationnel, mais aborde une négociation de sexualité au sein de 2 personnes qui semblent déjà avoir une forme de relation. Ensuite, ça veut dire qu’une personne qui peut faire du cul avec quelqu’un, serait en capacité de faire du cul avec toute autre personne ? Si tu dis oui à une personne, tu dis oui à tout le monde ? Troisièmement, dans la formulation de cette partie, on est aussi pas si éloigné de la théorie du « good guy » (du mec gentil – à nouveau une théorie masculiniste), qui explique que les actes d’empathie, de patience et de gentillesse devrait être rétribué par du sexe/une relation.
En soi, on peut comprendre que ces situations agitent des émotions compliquées (c’est dur de gérer son seum). Mais ici la mise en scène en mode « cours universel » vient plutôt légitimer des pressions et de la violence contre des notions de base sur le consentement.
Cette pièce de théâtre écrite en octobre 2019 tourne depuis maintenant de nombreuses années. Alors que les personnes ne sont plus sur la lutte depuis longtemps, elles veulent poser un décors de comment se passe les relations dans la lutte de Bure.
P95: Bienvenue à tous et à toutes […]. Nous organisons ce gala à Bure pour célébrer une victoire décisive: après une lutte acharnée, nous avons enfin réussi à enfouir l’amour romantique de ce monde. […] maintenant, l’affection circule librement à Bure, sans jamais être enfermée dans un couple. »
Elle tourne encore aujourd’hui, après 4 éditions du livre (la dernière prévue pour septembre 2025 – probablement de nouvelles entrées de spectacle qui vont y être associées), et plus de 60 représentations dans toute la fRance.
Breaking news: ni à l’époque de l’écriture de la pièce, ni aujourd’hui le modèle du couple n’a disparu du milieu militant de Bure. Les modèles relationnelles dominants le restent, et si ces personnes ont pu subir des remarques sur leur modèle relationnelle, c’est pourtant des remarques bien plus quotidienne lorsqu’on n’est pas dans le modèle relationnel dominant. Le modèle défendu par ce spectacle est déjà le modèle favorisé par la société. Cette domination a de vraies conséquences matérielles, d’organisation sociale : mariage, pacte civil, logement, parentalité, fiscalité, droits vis-à-vis du conjoint, hospitalisation, décés, mutation, travail, etc. C’est le modèle validé et privilégié qui se plaint d’être écrasé, et qui prétend que les modèles discriminés sont dominants.
Cette pièce, si elle travaille de manière approfondie les arguments sur le nucléaire, cultive la malhonnêteté intellectuelle sur la critique de modèles relationnelles minorisées. Pour elleux, toutes les brochures qui parlent de relations se valent et iels ne se prennent pas la peine d’approfondir ce qui peut se traverser:
P71: « L’un des moyens d’apprendre à se déconstruitre [pour nos ami.es les anarchistes], c’est de lire des brochures spécialisées sur les relations affectives non oppressives. Je vous en fait une petite sélection. Cette brochure est assez courte, synthétique, bien écrite, elle résume les raisons pour lesquelles l’amour c’est mal (il jette la brochure). Celle-ce a un ton un peu universitaire, mais elle fait un travail de fond, elle explique pourquoi l’amour c’est mal. (il jette la brochure). Cette brochure là a changé la donne quand elle est sortie, beaucoup de gens ont organisé des discussions autour de ce texte parce qu’il apporte de nouveaux élémets de réflexion, notamment l’idée que l’amour c’est mal. C’est ça qui est sympa avec les brochures: comme elles sont écrites par plein de personnes différentes, on y trouve une grande diversité de point de vue.« .
Elle servirait principalement les « dominants sexuels »:
« Un jour, avec Hétonque, on a eu notre première discussion sur le malheur amoureux, qui était notre lot commun. Et on s’est aperçues qu’on avait la même colère contre les auteur.es de brochures qui faisaient la promotion de « l’amour libre ». Ces brochures, qui circulent en grand nombre dans les lieux autogérés, incitent les masses révoltées à avoir plusieurs partenaires sexuel.les en même temps, au nom de l’argument puissant et très politique que l’amour, c’est mal ».
« Et avec cette idéologie qui circule, un mec cis militant peut dire ça : « C’est quand même agréable de pouvoir choisir entre plusieurs personnes » […] Ces salopards de dominants sexuels – puisque c’est ainsi qu’il fallait les appeler – n’avaient pas honte d’écrire des brochures qui nous culpabilisées d’être amoureuses, et tout ça pour justifier politiquement leur envie de séduire et leur indifférence envers les personnes qu’ils séduisaient. »
Bon nombre de ces textes dénoncés partent de témoignages de galères et de violences relationnelles et pas de dominants sexuels.
S’il est bien de rappeller qu’il ne faut ériger aucun texte ou modèle en doctrine, dans cette pièce quel modèle est dénoncé comme érigé en doctrine? « L’amour libre ». En réalité dans la pièce tout ce qui n’est pas couple exclusif est amour libre. Pourtant quand on sort du couple il y a bien une quantité de modèles relationnelles très différents qui ne se ressemblent pas. Dans les scénettes mises en place avec 2 personnages il n’est jamais indiqué le contexte de quel modèle relationnel est conçu pour les personnes, et peuvent être mis en interchangeable des personnes en couple qui ne respectent pas leur exclusivité, des couples ouverts, ou échangistes, du polyamour, de l’anarchie relationnelle, des amitiés sexuelles, etc.
Aussi la non exclusivité est montrée comme une manière de mettre un rateau pour des personnes étant en relation de couple au préalable,. Une scènette parle d’une personne avec qui Hema a de la sexualité depuis une semaine : il est posée de manière automatique qu’il y a une base de relation de couple entre elleux. Le couple est toujours montré comme l’évidence même.
Les relations multiples sont envisagées dans la pièce comme une somme de relation. Plus on aurait de relations, moins on aurait de problématiques affectives, et ces personnes qui ont plusieurs relations et l’exposent en publiques sont vraiment des dominant.es… Bien des simplifications qui permettent de ne pas chercher les complexités relationnelles.
De manière inverse, dans certains passages, sexualité, affections, sentiment amoureux, relations amoureuses et couples sont des concepts interchangeables et équivalent pour elleux, pourtant chacun peuvent avoir lieu sans les autres, et il n’est pas acquis pour elleux qu’il faille communiquer et échanger dessus (on peut être dans une relation amoureuse sans avoir individuellement un sentiment amoureux ni de sexe, etc). D’où leur hypothèse que tout texte questionnant le modèle du couple souhaite supprimer l’amour.
D’un côté, pour elleux, les personnes qui ne recherchent pas de relations exclusives ne vivent pas d’amour. Argument classique qui délégitime l’amour sans jalousie, prétend que le seul amour véritable est monogame, jaloux et possessif, pour la vie. Les non-exclusifs seraient seulement des consommateurs, des libéraux.
D’un autre côté, dans la pièce, des personnes aromantiques (qui ne ressentent pas de sentiment amoureux) et asexuelles ne peuvent pas avoir d’existence, voir seraient une menace contre le bien être des personnes avec lesquelles iels se mettent en relation. L’humour devient alors d’autant plus oppressif pour des personnes qui ne sont pas dans leur norme (celle du couple qui permet de résoudre à la fois leur manque affectif, amoureux et sexuel).
Toute la parodie sur le touché main-main, main-poignet, qu’est-ce qu’elle signifie? Surement que ça peut être une mise en scène qui peut amener au rire facilement, mais ça peut aussi être vécu comme une mise en dérision de personnes qui vivent différement la tactilité, ou un foutage de gueule contre des personnes [parfois traumas sexuellement] pour qui le contact est compliqué. Globalement de nombreuses mises en scène mettent en avant l’importance (l’obligation?) d’avoir un sentiment amoureux et une sexualité pour que la relation soit équilibrée (existante?).
Ce spectacle introduit le concept de pédéthèque, dénonçant les « hommes cis hétéro qui veulent faire des expériences homosexuelles ». S’il peut y avoir des expériences violentes avec des personnes bi, ou dire que des hommes cis bi peuvent être dominants, alimenter la biphobie en introduisant des concepts avec des noms rendant banale la biphobie, c’est violent.
Pour aller plus loin sur les problématiques de la biphobie et de ses conséquences, se référer au texte: Les licornes existent et ont la rage.
Nucléaire solitude est un texte dont les bases sont profondément patriarcales.
En politisant leur rejet, les auteur.es fournissent un déroulé idéal pour justifier la violence qu’iels produisent. Iels sont opprimé.es : opprimé.es parce que des gens refusent de prendre en charge leur détresse émotionnelle, sexuelle et affective. Dans cette pièce, l’oppression, ce sont les gens qui refusent de constituer des relations avec ell.eux. L’oppression, c’est le célibat qu’iels subissent. Grâce à une belle écriture et sous couvert d’humour, on avale bêtement une sauce déjà connue, patriarcale et violente.
Au travers de Nucléaire Solitude, il devient acceptable de maltraiter ses relations – et sans culpabilité, en plus. A cela on aurait préféré un travail mettant en avant dans toutes les relations le consentement, le soin, l’attention aux autres, l’amour, le désir ou tout autre sentiment sans la culpabilisation patriarcale.
Que cette pièce tourne dans les milieux militants autonomes, féministes et anti-autoritaire est une abhération. Arrêtez de la rééditer, arrêtez de la diffuser.
Contact pour retour : nucleaire-seumitude@riseup.net
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