Version d’origine écrite par Antoine Costa, parue dans lundimatin, le 4 mars 2019. Version augmentée par des paragraphes (en italique) de codex43 lors d’une autre mise en page de ce texte. Images et photos rajoutées provenant du site internet d’Iter.
Texte mis en brochure, téléchargeable en version pdf ici: Protéger et détruire – fusion Nucléaire et biodiversité iter
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Le sous-préfet de son côté renchéri en soulignant « l’attachement de l’entreprise [ITER France] à la cause environnementale »0. On savait que le nucléaire avait de nouveau le vent en poupe avec le réchauffement climatique, mais de là à dire qu’il protège la biodiversité… Évacuons la première hypothèse d’un canular pour nous consacrer à une autre plus plausible : Var Matin serait en réalité une officine du CEA chargé de la communication d’ITER.
« On peut aujourd’hui justifier l’existence de n’importe quelle machine, si effrayante soit-elle, dès lors que l’on parvient à persuader l’opinion que celui qui la critique est un ennemi des machines. Comme il n’y a rien de plus facile à faire, on finit toujours par y arriver. » Günther Anders, 1956.
La question inévitable que tout visiteur du « dehors » finit par formuler : « Ne craignez vous pas de sauter un jour ou l’autre, vous et vos laboratoires ? » attire aussi inévitablement cette réponse « Au début peut-être mais on oublie vite. Si le service du feu ne procédait pas à des exercices, personne ne songerait au danger. L’habitude… » souligne mon interlocuteur avec le sourire.
L’emprise sur l’atome, dans Le futur à déjà commencé, Robert Jungk, 1953
Comme nous l’explique l’historien Nicolas Chevassus-au-Louis dans La fusion nucléaire : toujours pour après-demain1, la fusion thermonucléaire fait partie de ces promesses scientifiques qui permettent de faire rêver les gouvernants et justifier les crédits de recherche des scientifiques puisque cela fait maintenant un demi-siècle que l’on annonce l’imminence de sa maîtrise. En 1948, Ronald Ritcher un physicien et Kurt Tank ingénieur aéronautique, tous deux allemands, s’étant retrouvés en Argentine après la guerre (sic), arrivent à convaincre le président Juan Perón de construire une centrale à nucléaire.
L’argent coule à flots pour les deux compères et leur usine voit le jour sur l’île de Huemel au milieu d’un lac en Patagonie. En 1951, le président annonce qu’il a réussi la maîtrise de la fusion et dame le pion à toutes les puissances nucléaires du monde. Mais les observateurs internationaux commencent à douter quand celui-ci annonce que l’énergie pourra être conditionnée en bouteille d’un litre ou d’un demi-litre, comme le lait. En 1952, après enquête, des physiciens concluent à l’imposture et Ritcher quitte le pays. C’est la première annonce de maîtrise du phénomène de la fusion qui consiste à reproduire sur Terre le phénomène qui génère l’énergie du soleil.
Quand les premières bombes thermonucléaires explosent, la bombe américaine en 1952 puis l’année suivante la bombe soviétique, les scientifiques n’évoquent pas la possibilité de maîtriser cette énergie pour la production d’électricité tant elle leur paraît indomptable. Mais la mort de Staline en 1953 et la conférence de Genève de 1955 sur l’utilisation pacifique de l’énergie atomique (Atoms for Peace) rouvrent le débat sur la possibilité de maîtriser la fusion.
Alors que les soviétiques ont doublé les américains dans la course à l’espace grâce au lancement de Spoutnik en 1957, ces derniers les devancent dans leurs recherches sur la fusion. En 1958 on annonce un premier exploit scientifique, un communiqué commun à l’US Atomic Energy et Commission et la Britain’s Atomic Energy Authority fanfaronne de l’imminence de la maîtrise de la fusion. « Cela pourrait prendre à peine vingt ans » annonce un des scientifiques. Mais trois mois après, les scientifiques se rétractent : on était loin du compte.
La course avec les russes s’accélèrent. Mais les installations coûtent de plus en plus cher à mesure que croît le gigantisme des machines nécessaires, qui se révèlent en plus être un gouffre énergétique. Il est a noté par exemple qu’une expérience d’ITER, le réacteur expérimentale basé dans les Bouches du Rhône, de quelques secondes nécessite près de 1000 MWe. Une partie de la centrale du Tricastin dans la Drôme est dédiée à son alimentation. En clair, on construit des centrales nucléaires pour alimenter d’autres centrales nucléaires.
En 1959 l’Agence Internationale pour l’énergie atomique se charge donc de la mutualisation des informations entre les russes et le reste du monde. En 1973, avec la crise énergétique, l’argent coule de nouveau à flot et l’intérêt des puissances pour cette énergie aussi. En 1975, le département américain de recherche sur l’énergie atomique qui allonge chaque années 500 millions de dollars pour la recherche sur la fusion annonce que d’ici 1980 les machines pourront produire plus d’énergies qu’elles n’en consomment.
En 1986 le contre-choc pétrolier rend la fusion un peu moins attrayante, d’autant plus que l’URSS rencontre quelques difficultés financières. C’est le début du projet ITER, d’une coopération internationale, qui après quinze années péripéties diplomatiques choisira le site de Cadarache pour installer le réacteur expérimentale. La machine en construction sur le site du CEA n’est qu’ « expérimentale ». Elle ne produira pas d’énergie. Et les scientifiques annoncent l’exploitation industrielle de la fusion d’ici une cinquantaine d’années.
Depuis 2006 donc, le réacteur est en construction sur une des failles sismiques les plus actives de France à quelques kilomètres de Manosque. Le budget de 5 milliards d’euros pour la construction et 5 milliards d’euros pour la maintenance est depuis longtemps explosé. A mi-chemin des travaux, alors que pour l’heure seul du béton a été coulé, le coût a déjà quadruplé pour atteindre 20 milliards d’euros.
Encore mieux, lorsque l’enquête publique sur la construction d’Iter a débuté, en juin 2011, les travaux, eux, avaient déjà démarré depuis près de 5 ans !
Depuis le XIXe siècle et les principes de la thermodynamique, on sait que le mouvement perpétuel, c’est-à-dire l’idée d’une machine qui ne consommerait pas d’énergie, ne peut physiquement pas exister. C’est l’entropie : une partie de l’énergie produite se dégrade nécessairement.
L’idée de la fusion thermonucléaire, qui n’est autre qu’un fantasme du mouvement perpétuel atomique, se résume à ceci : on pourrait avoir « tout pour rien »2. On pourrait produire de l’énergie sans carburant et sans déchets. Le beurre et l’argent du beurre, l’omelette sans casser les œufs. Problème : si on connaît le fonctionnement théorique de la fusion depuis longtemps, aucune infrastructure ne permet de reproduire ce phénomène physique dans la pratique.
Le mouvement perpétuel est à la physique ce que la pierre philosophale est à la chimie. De la même façon qu’il est impossible de changer le plomb en or, il est impossible de créer un moteur perpétuel.
Pour mesurer l’efficacité énergétique et pour mesurer ce qui se rapprocherait le plus du mouvement perpétuel nous disposons d’un indicateur : le Taux de Retour Énergétique (TRE). Il s’agit d’un ratio exprimant l’énergie qu’il faut dépenser pour extraire de l’énergie, EROEI « energy returned on energy invested » en anglais. Au début du XXe siècle ce ratio était de 1 pour 100 pour le pétrole texan. Il fallait un baril de pétrole pour en extraire cent. Dès lors ce ratio n’a cessé de baisser pour la simple raison qu’il faut aller chercher le pétrole de plus en plus loin. Au début des années 1990 le TRE est passé à 1:35 et il désormais de 1:10. Il faut forer toujours plus profond et dans des endroits toujours plus risqués3. La logistique et les infrastructure sont telles que les rendements baissent. Un autre chiffre témoignant de ce phénomène est celui des investissements : depuis 2000 la demande en pétrole a augmenté de 14% mais les investissements ont crû de 180%. En clair il faut toujours plus de moyens pour produire la même chose. Selon l’Agence internationale pour l’énergie nous avons passé le Peak Oil mondial en 2006 et nous trouvons dès lors sur un « plateau ondulant ». Le seul moyen de maintenir l’offre étant de multiplier les investissements4.
Cet indicateur du TRE est devenu une obsession pour les observateurs du marché pétrolier. Maintenant que les pétroles non-conventionnels (huiles et gaz de schistes, sable bitumineux, gisements ante-salifères, off-shore, conditions polaires) ont pris la relève des pétroles conventionnels et que le spectre de la pénurie s’éloigne, c’est celui d’une baisse de rendement qui obsède les experts. Et c’est précisément à cette obsession que la fusion et l’écologie industrielle répondent : l’obsession du gaspillage et de la rationnalité.
Dans un texte sur l’écologie industrielle publié sur Lundi Matin début janvier5 les auteurs écrivent que l’économie industrielle (dans laquelle le nucléaire et plus encore la fusion a toute sa place) s’appuie sur l’économie dite « circulaire » qui vise à quantifier les flux de ressources dans le but d’optimiser leur utilisation. L’écologie industrielle ne fabrique donc pas une industrie écologique mais plutôt une écologie des industries. Un réseau d’industrie vertueuse entre elles. « Le but premier de l’écologie industrielle n’est paradoxalement pas l’écologie : ce qui est en jeu ici, c’est bien l’idée de perpétuer coûte que coûte un système économique non viable et une production toujours plus grande. » On peut renvoyer à la conclusion de Pierre Musso dans son livre La religion industrielle, selon laquelle nous vivrions à une époque à la croisée des chemins, la rencontre entre deux idéologies : le management, ou rationalisation en français (l’administration des choses et des hommes) et la cybernétique (le pilotage centralisé du monde via le réseau). Notre époque est donc celle du cyber-management, et ce pilotage techno scientifique du monde répond précisément à la mode du moment : l’écologie. « S’appuyant sur le principe de l’économie circulaire, l’écologie industrielle a pour objectif de quantifier les flux de ressources (d’eau, d’énergie, de matière) dans le but d’optimiser leur utilisation » poursuit très justement le texte.
Pour comprendre le lien entre écologie et économie et cette obsession de la rationalité et de l’optimisation il faut remonter aux chocs pétroliers de 1973 et 1979 et là façon dont ils eurent un effet d’électrochoc sur les sociétés occidentales. En effet, plus qu’une question de pénurie (nous n’avons jamais manqué de pétrole lors des chocs pétroliers) ces événements mirent en lumière la dépendance de l’Occident à une ressource sur laquelle il n’avait que peu de prise. Quand en 1911 Churchill, alors Lord de l’Amirauté fait passer la Royal Navy du charbon (anglais) au pétrole (Perse), c’est-à-dire fait passer la puissance militaire navale de l’Angleterre sur une ressource parcourant des milliers de kilomètres, il le fait (entre autre) pour contourner le pouvoir des mineurs et des syndicats6.
C’est donc une réflexion politique et non scientifique qui détermine un choix énergétique. Les chocs pétroliers vont consister en une logique semblable même si le mouvement est inverse : rapatrier les sources d’énergies sur le territoire national et ne plus les laisser dépendre de gouvernements étrangers. C’est en 1974, à la suite du premier choc pétrolier que la France met en place le plan Messmer prévoyant la construction de presque 200 réacteurs dans l’hexagone (qui n’en aura finalement que 58).
C’est aussi à cette époque que la France choisit de faire la promotion du diesel. Il s’agit alors de fournir un débouché au fuel des raffineurs qui n’est plus utilisé par les centrales thermiques ni pour les chaudières d’habitation où l’on avait fait la promotion du radiateur électrique pour trouver un débouché à l’énergie nucléaire tirée des nouvelles centrales. Vertigineux, non ?
À mesure que le spectre de la pénurie et du gaspillage hante les gouvernements, que ces derniers mettent en place de nouvelles stratégies énergétiques, le mouvement anti-nucléaire s’effondre. Mais en vérité, une partie du mouvement, sa frange « technicienne » va dans la décennie suivante, sous Mitterand s’incorporer à l’appareil d’État7. L’ADEME par exemple, le bras armée du ministère de l’environnement est symptomatique de cette trajectoire8.
Elle née de la fusion de différentes instances (Agence française pour la maîtrise de l’énergie, Agence pour la récupération et l’élimination des déchets, Agence pour les économies d’énergies …) D’une critique du nucléaire dans les années 1970 on est passé à une meilleure utilisation de l’énergie dans les années 1980. la conséquence est la suivante : on redéfini les problèmes environnementaux à travers le spectre de l’économie. Et de fait on étend la sphère d’influence de l’économie au problèmes environnementaux. Le slogan d’EDF « l’énergie est notre avenir, économisons la » est en réalité une mention obligatoire inventée par l’ADEME significatif de cette dérive. On ne critique plus le nucléaire, on vise à rationaliser l’utilisation de l’énergie.
L’hypothèse de la fusion nucléaire arrive dans ce contexte : celui de la rationalisation de la production et de la consommation énergétique. Et quelle meilleure promesse qu’une énergie, ne produisant pas de déchets et ne consommant rien ?
Dans une revue de propagande nucléocrate9, Bernard Bigot, le directeur général d’ITER organization continu la messe : « le monde doit trouver une alternative à la consommation d’énergie fossiles et dont les effets sur le réchauffement climatique et notre société ne sont plus tenables dans les décennies à venir ». Pour justifier le coût délirant de l’infrastructure celui-ci affirme au contraire que le coût est « modeste au regard de l’ambition du projet ».
Pire si nous ne faisons pas cet investissement dès maintenant, nous « condamnons nos générations futures à réduire leur choix en matière d’énergie ». On retrouve là un argumentaire classique qui consiste à « réenchanter le risque » comme l’affirme le sociologue de plateau télé Gérald Bronner, une réponse au « principe de précaution », le fait de s’abstenir de recourir à une technologie dont la mise en œuvre et les conséquences sont potentiellement dangereuses, de Hans Jonas. Précisons tout de même pour l’anecdote, que pour Bronner, édité par les très sérieuses Presses Universitaires de France, le principe de précaution, est cette « prudence qui confine au repliement » qui pourrait nous empêcher « de découvrir des formes d’organismes végétaux [des OGM] compatibles avec un voyage interstellaire »10.
Plus loin le nucléocrate Bigot continu : « contrôler la fusion constituerait une rupture technologique ; la plus importante dans l’histoire de l’humanité ». « La fusion pourrait être la solution capable de fournir une énergie à l’infini » plus loin on parle même de « la première pierre d’un édifice qui mettra fin à la dépendance aux énergies fossiles ». Une entreprise américaine d’armement, Lockheed Martin, qui développe son ShunkWork un réacteur de fusion compact « n’hésite pas à se projeter dans le futur (…) : alimenter des bateaux et des avions sans limites de distance et d’alimentation de combustible ; accélerer les voyages spatiaux, avec la possibilité d’aller sur Mars en un mois plutôt que six, etc ».
Lockheed Martin est la plus grande entreprise de défense au monde. Elle fait 46 milliards d’euros par an sur le marché de la guerre. Nul doute qu’ils doivent crever d’impatience d’aller visiter d’autres planètes.
Au regard des milliards de dollars, de roubles, de francs, d’euros siphonnés sur le budget de la recherche énergétique, au regard du nombre de promesses non tenues et sans cesse repoussées, au regard de la mégalomanie de ces promesses, la question est : Pourquoi, après un demi-siècle de promesses, aujourd’hui encore, tant de promesses ?
Une explication pourrait nous être fournie par le philosophe Olivier Rey sur un tout autre domaine, le transhumanisme, lui aussi peu avare de promesses délirantes. Dans Leurre et malheur du transhumanisme (2018), Rey se demande ce que produisent ces promesses scientifiques (vivre 300, 1000 ans ou l’éternité, au choix, créer des machines intelligentes capables d’apprendre et de dépasser l’esprit humain, greffer des yeux de chat pour voir la nuit et économiser de l’électricité …) promesses auxquelles en vérité personne ne croît véritablement.
Pour Rey, il faut prendre en compte la situation historique dans laquelle nous sommes : « l’Age d’or que les Anciens situaient dans le passé, les Modernes l’ont placé dans le futur. C’est au nom d’un futur toujours meilleur que le monde a été transformé. C’est au nom de ce meilleur que des êtres humains ont consenti et collaboré à la disparition de nombres de choses auxquelles pourtant ils tenaient : tel était le prix à payer pour le progrès ». Problème la situation actuelle est des plus défavorable : réchauffement climatique, érosion de la biodiversité, obésité, famine, multiplication des maladies civilisationnelles… Le progrès technologique s’accompagne d’un regrès social et la situation est loin d’être aussi paradisiaque qu’on nous l’avait promis.
C’est donc au moment où l’espérance de vie plafonne ou régresse que les transhumanistes nous promettent l’immortalité. Selon Olivier Rey, la stratégie des promoteurs du Progrès est donc la suivante, il faut « raviver une flamme vacillante ». « La perte de confiance dans le progrès doit être compensé par une inflation de ce qu’il est censé apporter : plus le monde va mal et menace de s’écrouler, plus il faut arracher l’adhésion à cette course à l’abîme par des promesses exorbitantes ».
Et c’est pourquoi Elon Musk envoie son cabriolet en orbite. Et pourquoi Jeff Bezons, l’homme le plus riche au monde, prévoit d’être sur la Lune d’ici 2024. Ils mettent le paquet pour faire rêver les gueux.
Les promesses du nucléocrate cité plus haut ont donc quelque chose de semblable à celles des transhumaniste et il y a fort à parier que lui-même n’est pas convaincu de ce qu’il dit. Alors que la catastrophe progresse et que la conscience de cette catastrophe contamine les esprits (il n’y a qu’a voir le succès récent de la collapsologie), la fusion nucléaire comme le transhumanisme souhaitent renouveler l’adhésion des populations au mythe du Progrès à travers les promesses de stabilité futur. Imaginez : plus de maladies, plus de mort, plus de guerre, plus de réchauffement climatique. Vivre immortel, sans se fatiguer à couper son bois où à aller chercher de l’uranium au Niger.
La forêt sur laquelle est bâti ITER accueillait un certain nombre d’espèces protégées. Sous les milliers de tonnes de bétons, des insectes comme le scarabée pique-prune, des oiseaux comme l’aigle Bonnelli, des chauves souris comme le molosse de Cestoni. Au moment de sa construction un arrêté préfectorale a donc été signé pour que l’Agence ITER France compense ses destructions. Un des problèmes résidant dans le fait que personne ne sait véritablement ce que signifie « compenser » un bout de nature détruit. L’Agence s’est donc empressée de « compenser », tout simplement en achetant de la forêt11, c’est-à-dire en changeant le titre de propriété d’une forêt à hauteur équivalente de ce qu’elle avait détruite. Un hectare détruit, un hectare à peu près équivalent acheté. Face à l’impossibilité d’acheter une forêt équivalente d’un seul tenant et à proximité du site détruit, ITER a dû acquérir ici et là des petits bouts de nature plus ou moins éloignés. 138 hectares à Ribiers (à 76 km d’ITER), 178 hectares à Saint-Vincent sur Jabron (à 60 km d’ITER) et 116 hectares à Mazaugues (à 50 km d’ITER). Pour répondre à l’arrêté préfectoral ITER France a donc acheté dans un rayon de 80 km autour du site 432 hectares de forêts qu’elle s’est engagée à préserver sur vingt ans.
Les mesures compensatoires sont tout bonnement ridicules, quand on pense au fait qu’il s’agit par là de contrebalancer les effets négatifs d’une centrale à fusion thermonucléaire. En effet l’arrêté préfectorale prévoyait donc en guise de « mesures compensatoires » de 1) mener des actions de préservation de la biodiversité 2) acquérir du foncier 3) financer une thèse 4) sensibiliser le public. Au regard des 20 milliards d’euros dépensés pour détruire la nature, les quelques millions engagés pour faire croire qu’on la protège paraissent risibles.
À la lecture de l’article de Var Martin, on comprend aussi que la compensation relève de l’opération de communication : « regardez ITER protège nos beaux paysages de Provence » nous dit en substance le journaliste. On comprend donc que pour ITER il n’y a pas simplement la volonté de répondre à une obligation mais « une réelle volonté de bien faire » comme le souligne l’article de Var matin. Le directeur d’ITER France poursuit même sans rire « nous prenons la chose à cœur, et que la défense de l’environnement n’est pas un vain mot pour Iter ». Le sous-Préfet de son côté se félicite de la signature du contrat en soulignant qu’Iter affirme par là son « attachement à la cause environnementale » et à la « défense des beaux paysages de Provence ». Mais surtout on apprend que ce programme de préservation n’est planifié que jusqu’en 2035. En clair on « compense » la construction d’ITER par la préservation de forêts durant une vingtaine d’années.
La question est donc : comment faire correspondre économiquement le bétonnage d’hectares de forêts, le siphonnage de milliards d’euros de recherche publique, la destruction durable de la forêt (qui dit nucléaire dit « destruction durable » pour ne pas dire « éternelle ») avec un engagement à « protéger »quelques hectares de forêts sur une vingtaine d’années ? Scientifiquement l’opération ne tient pas la route, il s’agit là d’une pure opération de communication. On savait que le nucléaire avait le vent en poupe avec le réchauffement climatique, et on voudrait nous faire croire là qu’il n’a aucun impact sur la biodiversité.
Concernant la compensation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, un opposant expliquait très justement qu’il ne s’agissait pas d’une expérimentation scientifique mais d’une expérimentation sociale. C’est-à-dire qu’il s’agissait de faire croire, de faire adhérer les opposants à l’idée qu’il était possible de construire l’aéroport sans avoir d’impact négatif sur le bocage et les zones humides.
La compensation biodiversité est donc à l’économie ce que ITER est à la question énergétique : une promesse de mouvement perpétuel. Il s’agit de convertir la biodiversité en chiffre, de la transformer en marchandise et d’envisager son déplacement, sa convertibilité ou son échange comme une monnaie. À mesure que les infrastructures et le développement mettent en péril l’existence sur terre, la compensation vient nous dire ceci « tout ce qui sera détruit pourra être compensé ». Le saccage de la planète devient donc indissociable de sa protection. L’écologie n’est pas simplement une idéologie qui s’accommode très bien de l’économie, elle est la condition de survie de cette dernière. À l’avenir l’économie ne pourra plus être que verte.
0 Iter est l’heureux propriétaire forestier de 116 hectares sur la Ste-Baume, Var Matin, 10/01/19
1Chapitre XI du livre Un iceberg dans mon whisky, Seuil, 2009
2Bertrand Louart, ITER ou la fabrique de l’absolu, 2008
3Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Seuil Anthropocène , 2015
4Tout va bien, le Peak oil est atteint dit l’Agence internationale pour l’énergie, Oil Man blog Le Monde, 18/11/10
6Timothy Mitchell, Carbon Democracy, le pouvoir politique à l’ère du pétrole [2011], La Découverte, 2013
7Voir l’article La Hague, grands soirs et petits matins du numéro 9 de la revue Z (disponible sur zite.fr). « Un certain nombre d’entre nous se sont alors mis dans les alternatives, l’efficacité énergétique, les renouvelables, avec la création en 1982 de l’AFME – l’Agence française de la maîtrise de l’énergie » explique le physicien et polytechnicien Bernard Laponche alors à la CFDT.
8Jean-Baptiste Comby, La question climatique, genèse et dépolitisation d’un problème public, Raisons d’Agir, 2015
9Toutes les citations proviennent de la Revue Générale Nucléaire, Fusion nucléaire : la recette de demain ? n° : novembre/décembre 2018
10Pierre Thiesset, Faut-il expédier Gérald Bronner dans l’espace , 2014
11Chiffres tirées de la revue de propagande InTERfaces, des nouvelles d’ITER, n° : octobre/novembre 2017
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