Elle avait en tête les femmes de Plogoff, la Supplication de Svetlana Alexievitch, les femmes de Greenham Common encerclant une base nucléaire américaine, les mères de Fukushima.
Elle s’est retrouvée embarquée là-dedans.
En vérité ça faisait longtemps que ça rimait en elle sorcières et antinucléaires.
Elle s’est dit :
« Je n’avais jamais pris en charge à ce point des tâches d’organisation collective. »
Elle pensait,
nous sommes toutes sorcières quand nous sommes en lutte,
nous sommes sorcières quand nous sommes hors-normes,
nous sommes sorcières quand nous sommes prolétaires, quand nous sommes d’une autre couleur que le blanc. Ce n’est pas le mot « femme » qui nous rassemble pour ce week-end, mais une oppression que nous font subir les hommes cisgenres.
Elle a découvert des choses incroyables liées à la mixité choisie, de comment parfois on s’appuie trop sur les garçons cis pour faire certaines tâches, comment, de fait, ils détiennent une part énorme de matériel pour s’organiser.
Elle a découvert en grande émotion, plein de nouvelles têtes, jamais venues à Bure, jamais venues à un événement politique autogéré.
Elle s’est dit :
« Oui, c’est la première fois, sur des rencontres militantes que je rencontre autant d’autres personnes que les hommes cisgenres, parce que quand ils sont là, on les écoute et on en oublie parfois de se parler entre-nous. »
Elle a été émue quand les amies qui luttent à Bure depuis quelques années ont dit que ça leur avait redonné le courage de continuer, de revenir sur ce territoire après les traumatismes vécus ici. Elle a pensé à toutes les amies qui n’étaient pas là cette fois-ci, et qui seraient là la prochaine fois, quand on leur ferait le récit de tout ça.
Elle s’est énervée parfois, elle a été agacée que tout ne roule pas mieux, que certains trucs n’aient pas été mieux pris en charge, qu’on ne déborde pas assez, que tout ne parte pas en cendre.
Elle s’est dit :
« Mais je lutte pour quoi ? Pour que la presse montre des images de guerre ? Juste pour que les flics nous prennent au sérieux quand on est en mixité choisie ? »
et elle a dit :
« Mais on s’en fout de ce que la police pense, nous on sait pourquoi on est là et c’est ça qui compte ! »
Et puis, on a discuté et puis on s’est comprises. Et on fera mieux ou autrement plus tard, avec joie.
Et par rapport à toutes les critiques sur la mixité choisie, elle pense :
« Je ne peux pas aller dans certains cafés, bars, boîtes de nuit, parce que ce sont des endroits accaparés par les hommes cisgenres et parce que je n’aime pas leur regard sur moi. Je ne peux pas marcher dans la rue tranquillement la nuit, je flippe de me promener seule en forêt… et on m’empêche de vivre un week-end dans un endroit où je me sens à l’aise, où pour une fois, je ne pense pas à ça ? À eux ? Un moment où j’ai toute ma tête pour réfléchir à des perspectives politiques ? Où je ne suis pas en train de faire attention à eux. Ils veulent me voler ce moment là aussi ? Ils ne veulent donc pas que je puisse penser par moi-même ? Faudrait-il que je pense la politique et ma vie sans cesse à travers leur discours, leur prisme de lecture et leur manière d’agir ? »
Elle veut continuer de lutter ici, dans ces moments de mixité choisie qui lui donnent de la force. Elle veut continuer de lutter ici en mixité aussi bien sûr. Elle rêve par dessus-tout à des moments avec plus de personnes du coin.
Elle a envie de sourire tout le temps en pensant à ce qui s’est joué là, pendant ces deux jours. À ce qui va continuer suite à ces rencontres, aux nouveaux horizons et à tout ce champ des possibles qui s’ouvre
là-devant.
On reviendra, dit-elle, et on cramera tout.
Bombes atomiques quel est votre métier ?
Miaou Miaou Miaou !
Et surtout à tout vite à vent de Bure le 28-29 septembre !
Automne 2019.
*Ce récit est un témoignage de deux elles, présentes lors du week-end féministe et antinucléaire à Montiers-sur-Saulx. Il n’est qu’un point-de-vue (enfin deux).