publié à l’origine sur lille.indymedia.org
Déclarer sa flamme.
14 février, jour de la St Valentin.
L’occasion de montrer à une personne spéciale que l’on pense à elle en lui offrant de petits cadeaux. Et quel meilleur endroit pour chercher notre Valentin que Vallentigny. Petit village de Haute-Marne avec son église classée aux « monuments historiques » dont son cloché tuilé de bardeaux de bois en fait tout son charme. A ses pieds, l’ancienne école communale dont la cour sert désormais de terrain de jeu à un chien aboyeur mais gentil.
En effet, c’est ici que vit, à un jet de pierre des deux sites de l’ANDRA à Soulaines, dans l’Aube, Patrice Torres son directeur pour les départements de la Haute-Marne et de la Meuse, fièrement responsable du projet d’enfouissement des déchets nucléaires Cigéo à Bure.
Fidèles à cette tradition très romantique, nous lui déclarons à cette occasion 7,62mm de notre attention.
C’est par voie postale que lui est parvenu à son adresse personnelle ci-dessous, une cartouche de ce calibre.
Mr Patrice Torres,
10. rue de l´Église
10500 Vallentigny.
Merci maître pour cette chouette année !
Début 2024, l’ANDRA a commencé à exproprier des surfaces supplémentaires manquantes pour le projet Cigéo (qui n’est toujours pas autorisé). Plus de 300 propriétaires sont concernés par cette nouvelle vague d’accaparement foncier. Outre des terres principalement agricoles, l’ancienne gare de Luméville, lieu de résistance sur la future ligne ferroviaire pour les transports nucléaires vers le centre d’enfouissement de Bure est dans le viseur. Patrice Torres annonce dans le plus grand mépris que cette procédure d’expropriation devraient être achevée dans les vingts mois. Avec cette démarche, l’ANDRA entame une nouvelle étape qui menace non seulement la population locale dans leurs existences économiques et sociale, mais aussi directement un lieu stratégique de la lutte contre ce projet.
Nous ne pouvons et ne voulons pas laisser cela sans une réponse forte !
Un démonstrateur de nos colères.
Dans les années 2000, lors des premières phases de planification de Cigéo, le site allemand de stockage de déchets nucléaires Asse 2, ainsi que Stocamine, en Alsace, où son entreposé des déchets industriels hautement toxiques, apparaissaient régulièrement comme des références européennes en la matière. Depuis que des infiltrations d’eau massives ont rendu la mine d’Asse 2 instable nécessitant la récupération des colis radioactifs pendant des décennies, et que Stocamine menace de s’effondrer après un incendie catastrophique qui a duré plusieurs semaines, ces références ne figurent plus dans les évaluations de sécurité. Actuellement, tous les exemples d’échec du concept de stockage géologique sont ignorés dans le monde entier et encore en France. Cigéo est présenté comme quelque chose de totalement nouveau et inédit, dont les risques ne peuvent toujours pas être modélisés de manière empirique.
Pour se faire, L’ANDRA mise plutôt sur la construction de différents « démonstrateurs » et prototypes innovants pour simuler les principes de fonctionnement et les processus prévus (creusement, descenderie, déplacement et surveillance des colis, etc). « À chaque fois que c´est possible, on souhaite travailler avec. On essaie aussi d´implanter localement certains équipements d´essai, comme les démonstrateurs (…), développer au maximum les relations économiques et commerciales avec les entreprises locales et le respect de la commande publique. » explique Torres dans un article. Dans une déclaration sur l’action de sabotage contre un collaborateur de Cigéo, FERRY CAPITAIN, le « Groupe Informel d’Action Pirate pour Couler le Ferry » commente avec justesse : « L’ANDRA transforme les entreprises locales en fossoyeurs de leur propre territoire et a en plus le culot de vendre cela au public comme une promotion de l’emploi et un soutien à la croissance du territoire. C’est d’un cynisme qui donne la nausée ». Cet aspect tout à fait intéressant du développement territorial ne doit cependant pas nous détourner de ce qui suit.
Outre la création d’une dépendance économique pour les entreprises, les démonstrateurs servent principalement deux objectifs : La réalisation partielle de Cigéo dans sa conception technique et spécifique avant même l’autorisation de construction proprement dite et en contournant le droit nucléaire ; ainsi que de donner à la faisabilité de ce projet totalement irresponsable l’apparence d’une évidence scientifique et un challenge technologique basé sur des données arbitraires sans valeurs.
De cette idée, nous l’avons faite nôtres et considérons notre présent comme un démonstrateur autonome et inattendu, destiné celui-ci, au directeur lui même du projet Cigéo, mais cette fois-ci en matière d’expropriations. Voilà, cher Monsieur Torres, ce que c’est que de craindre pour sa propre existence ! Peut-être que les résultats de cette expérience seront pris en compte dans la suite du processus et vos évaluations « bénéfices risques ».
Sur la question de la lutte armée dans le mouvement antinucléaire.
Comme nous pensons que cette action ne rencontrera pas trop de sympathie, ni à l’extérieur ni à l’intérieur du mouvement et que sa réalisation pourrait même inciter à soupçonner une opération sous « fausse bannière » visant à criminaliser et à diviser la lutte, quelques mots sur le moyen que nous avons utilisé s’impose.
Dans les années 1970, toute une série de groupes armés en France et dans le monde luttaient pour un changement social et politique, avec l’évidence croissante, entre autre, de la catastrophe écologique, mais surtout avec l’émergence d’un mouvement militant de masse contre l’énergie nucléaire. Certains de ces groupes de guérilla ont développés leur rapport à la question écologique dans une idéologie anarchiste, et ont tentés de construire un front supplémentaire par des actions directes pour accompagner ainsi la résistance (en grande partie bourgeoise et privilégier).
Les attentats à l’explosif et les actions armées ont certes toujours été l’exception et n’ont jamais marqués ou transformés le mouvement de manière décisive, mais ils n’étaient pas non plus inhabituels. Ils ont été perçus et discutés, ont suscité la critique, le rejet, mais aussi la solidarité dans certains cas. Ils faisaient également partie du discours du mouvement et de la lutte.
Les envois de cartouches ont toujours été controversés en tant que moyen d’action (même au sein des structures armées). De la « menace en l’air » au « gaspillage de munitions » en passant par « l’escalade inutile de la violence », les critiques sont aussi variées que le message envoyé est clair. Dans le contexte actuel, il faut admettre que l’utilisation d’un tel moyen mérite d’être expliqué. Pour cela, nous n’avons pas besoin de partir de zéro, car même si les pratiques ont radicalement changé depuis quarante ans, l’action armée n’a jamais totalement disparu du répertoire des militant.es antinucléaires anarchistes.
Par exemple, en réaction à la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, un commando « NUCLEO OLGA » de la FAI/FRI a tiré dans les jambes du PDG du groupe nucléaire italien ANSALDO NUCLEAIRE Roberto Adinolfi à Gênes. L’objectif déclaré de l’action était de contribuer à une revitalisation de la lutte antinucléaire sur le sol italien, ainsi que de mettre en évidence le « potentiel des possibilités » de la lutte révolutionnaire en frappant directement des responsables dans leur chaire. Peu de temps après, l’anarchiste Alfredo Cospito a été arrêté pour des faits similaires et condamné à une longue peine d’incarcération. Depuis sa prison, Alfredo Cospito a participé à une discussion sur la lutte contre Cigéo et le nucléaire en général à l’occasion des journées anti-carcérales de Bure en 2020. Dans sa contribution au débat, on y lit notamment ceci : « Il est clair pour tout le monde que nous parlons d’une lutte pour la survie ; non seulement de notre espèce, mais de la vie de « notre » planète. La nature cour chaque jour le risque d’être « transformée en monstre ». La science et la technologie nucléaires bouleversent de fond en comble l’ordre chaotique de la nature. Nous n’avons pas beaucoup de temps si nous voulons vraiment changer les choses et inverser ce processus autodestructeur. Nous devons et surtout nous ne pouvons plus fixer de limites à l’action, nous devons surmonter les peurs et les scrupules et avancer rapidement ».
Même si le texte date déjà de quelques années, nous aimerions y revenir. Car l’action, dont la réalisation « militaire » peut être considérée comme un succès, elle nous laisse quelques points d’interrogation lorsque l’on considère l’objectif déclaré. Ainsi, nous ne comprenons absolument pas comment l’homme peut penser qu’une action armée individuelle peut contribuer à renforcer le mouvement dans la situation actuelle. Et comme on pouvait s’y attendre, l’effet souhaité n’a pas du tout été obtenu.
En revanche, l’idée d’illustrer par cette « action punitive » le potentiel des possibilités de notre lutte nous semble plus intéressante. On peut toutefois se demander si c’est un bon motif de tirer sur un être humain uniquement pour illustrer un principe. Il nous manque peut-être ici la dose de nihilisme nécessaire, car les doutes et les scrupules qu’Alfredo Cospito nous conseille de laisser derrière nous, ne semblent pas être les pire sentiments lorsqu’il s’agit d’utiliser la violence armée.
En revanche, nous sommes tout à fait d’accord pour dire que le temps presse et que nous ne devrions exclure aucun moyen de nous opposer à cette technologie ravageuse et autoritaire.
Mais quels sont donc les moyens appropriés pour lutter contre une industrie qui, dans son fonctionnement quotidien normal, au nom de la science et du progrès prend en compte la destruction potentielle de toutes les bases de la vie sur cette planète et dont l’application militaire manifeste comme aucune autre les rapports de force et de violence mondiaux ? Qu’est-ce qui est approprié dans un conflit avec un État policier qui agit avec persécution, répression et aussi avec une violence parfois létale à l’encontre un mouvement écologiste ? Ce n’est donc pas la question de la violence qui se pose, mais seulement celle de la manière dont nous l’abordons. Nous considérons qu’il n’est pas seulement moralement légitime, mais qu’il s’agit même d’un devoir de combattre ce schéma de pensée et ses structures associées par tous les moyens. La question est aussi de savoir quels moyens semblent stratégiquement judicieux dans la situation actuelle.
Il est vrai qu’un mouvement qui vise un changement révolutionnaire est condamné à l’échec s’il ne consulte pas l’ensemble de ses options d’actions, quitte à les rejeter ensuite comme inappropriés. Et c’est là que notre action intervient : de même que nous devons nous garder d’exclure catégoriquement certaines formes de lutte, l’action armée n’est pas un automatisme ou la conséquence logique de l’action militante, dans le sens d’une escalade inévitable de la violence (ou même sa « discipline reine »). Le choix de la « bonne » stratégie de lutte ne connaît pas de réponse universelle. Nous devons sans cesse les réexaminer et les adapter aux réalités changeantes. Exclure la question de la lutte armée équivaut également à un « auto-désarmement » proverbial du mouvement. C’est justement la transformation de plus en plus autoritaire de l’État, ainsi que la prise de pouvoir des partis fascistes qui se prépare dans ce pays, qui pourraient mettre ce thème à l’ordre du jour politique plus rapidement que beaucoup ne peuvent ou veulent l’imaginer actuellement.
Dans un autre passage, Alfredo Cospito écrit que les objectifs de l’action armée ont été partiellement manqués parce que, contrairement à Bure, les gents n’ont pas encore suffisamment saisi le concept de diversité dans la lutte : « Peu de personnes sont conscientes que toutes ces pratiques ont leur propre raison d’être, leur propre but spécifique et ne sont pas nécessairement en contradiction les unes avec les autres. Et dans certaines situations (comme à Bure), lorsqu’elles sont pratiquées sans préjugés, elles se complètent, deviennent réellement efficaces, dévastatrices et désorientent le pouvoir ». Nous ne savons pas sur quelles sources le compagnon s’est appuyé pour faire son analyse de la lutte à Bure ; certaines brochures insurrectionnelles parues durant l’occupation de la forêt (2016-2018) suggèrent en effet cette conclusion. De notre point de vu, la « diversité des tactiques » si souvent évoquée n’a jamais été qu’un idéal, même à Bure, et n’a jamais fait l’objet d’un consensus au sein du mouvement, ni même été exempt de critiques et de discussions. Certes, la culture quotidienne vécue pendant l’occupation du bois Lejuc était déjà très proche de cet idéal, mais nous sommes certain.nes qu’une action armée sortie du cadre consensuel d’acceptation durant cette période, ou à n’importe quel moment du mouvement antinucléaire actuel, apporterait toujours sa dose de division et de dissociation. Il est même probable que les réactions à celle-ci le prouvent à nouveau.
Cependant, notre action ne vise pas explicitement à toucher le cœur des personnes ou à renforcer le mouvement ; d’autres actions sont certainement plus appropriées pour cela. Ce que nous voulons, c’est apporter une contribution au débat interne sur les moyens et les stratégies de notre lutte. Nous sommes tout à fait conscient.es qu’il y aura des critiques et nous les voulons tant qu’elles restent solidairement constructives. Un autre objectif, celui-ci externe, est d’accroître la pression politique sur les principaux responsables et les acteurs de la filière nucléaire dans son ensemble. De leur faire comprendre que leur responsabilité ne s’arrête pas à la fin de leur journée de travail et que leurs actions ont des conséquences j’usque dans leur vie privée.
Si nous avons décidé de ne pas envoyer cette cartouche de manière conventionnelle, c’est à dire au travers du canon d’une arme à feu, ce n’est ni par manque de détermination, ni par manque de moyens techniques, ni par manque de capacité à traquer les responsables politiques et économiques dans leurs environnements personnels. Nous démontrons plutôt le fait que nous avons délibérément choisi de ne pas agir ainsi à l’heure actuelle.
Même si le ministère public et peut-être une partie du mouvement pourraient l’interpréter différemment, il s’agit donc plus d’une contribution à un débat militant que d’une menace de mort au sens propre du terme.
Comme les chances de succès d’un projet armé se calculent logiquement entre autres, en fonction de sa puissance de feu, nous pouvons assurer que nous aurions mieux à faire avec nos munitions si nous envisagions un tel projet dans un avenir proche. Bien entendu, la mobilité et la collecte d’informations font également partie de ce calcul.
Ceci dit, nous ne pouvons pas exclure qu’a l’avenir, d’autres groupes parviennent à des objectifs différentes des nôtres dans leurs discussions ; ainsi, nous aimerions encore, soulager nos compagnon.nes informelles d’un peu de travail de recherche a l’adresse mentionnée. Ci-joint quelques prises de vues du domaine.
Pas de répit pour les responsables du désastre écologique et nucléaire !
Solidarité révolutionnaire au compagnon Alfredo Cospito et tous.tes les prisonnier.ères anarchistes du monde entier !
Groupes autonomes contre le nucléaire.
Commando Fernando Pereira*
* Militant antinucléaire et journaliste, assassiné en 1985 par les services secrets français, lors d’un attentat à l’explosif contre le navire de Greenpeace « Rainbow Warrior », en mission contre les essais nucléaires sur l’atoll de Mururoa.
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