Enquête publique pour la création d’un nouveau cantonnement de gendarmes au labo : nouvelle étape dans la militarisation du territoire

Texte issu du Petit Journal contre CIGEO n°4 (octobre 2024)


L’ANDRA organise une enquête publique pour la construction d’un nouveau cantonnement de gendarmes au laboratoire de Bure-Saudron. Actuellement logés dans 20 algécos, près de 80 gendarmes mobiles sont présents en permanence au laboratoire depuis 2018 : une militarisation directement financée par l’ANDRA.

L’enquête publique se tiendra du 30 septembre au 31 octobre, et concerne les communes de Bure, Saudron et Gondrecourt (pour Luméville). Les permanences prévues pour recevoir les observations du public sont :

à Bure le mardi 1er octobre de 9h à 12h,

– le jeudi 31 octobre de 14h à 17h ;

à Saudron le samedi 12 octobre de 9h à 12h,

– le lundi 28 octobre de 15h à 18h ;

à Gondrecourt le vendredi 18 octobre de 15h à 18h

– et le mercredi 23 octobre de 9h à 12h.

On constatera que le commissaire-enquêteur, Francis GERARD, est le même qui avait présidé à l’enquête parcellaire quant aux expropriations en mars-avril 2024.

Dans une déclaration d’intention du projet, datant de mars 2022, on y apprend que le projet de construction d’un nouveau bâtiment pour les 80 gendarmes est estimé à 10 millions d’euros. Soit 125 000 euros par gendarme dans le bastion de l’ANDRA

L’ANDRA nous informe joyeusement que c’est un projet écologique, car les bengalow en ce moment proposé aux gendarmes ne sont pas aux normes environnementales… Lorsque loger des milices c’est faire de l’écologie.

« Les enjeux de ces nouveaux bâtiments sont :
• d’améliorer les conditions d’hébergement des engagés ;
• d’adapter les locaux aux matériels et capacités d’entretien, de réparations, de lavage et de remisage des engins ;
• d’améliorer les capacités logistiques et de magasinage ;
• d’augmenter la capacité de l’espace d’entraînement ;
• de réaliser des économies d’énergie avec des bâtiments répondant aux dernières normes environnementales.

Le projet sera composé :
• de locaux administratifs (bureaux, espace de vie et de convivialité),
• d’une zone d’hébergement en étages sur 2 niveaux ;
• d’installations techniques dédiées (atelier de réparation des véhicules, activités supports …) ;
• d’un espace de parking de stationnement ;
• de nouveau réseaux (transformateur, réseaux informatiques,…).
Soit environ 2 200 m 2 de surface utile + 800 m2 de parking.

Saudron, septembre 2024

En plus de loger des gendarmes, est donc prévu plus d’espace pour faire de la surveillance numérique, plus d’armements et un plus grand parking pour pouvoir faire venir plus de flics encore au besoin.

En 2022, avant même l’enquête publique, l’appel d’offre à 99 000€ pour ce nouveau cantonnement a été remporté par Archilor, bureau d’architecture et de planification à Commercy. Dans la nuit du 22 septembre 2022, le véhicule privé du propriétaire de l’entreprise Archilor, Michaëll Barrois, a été incendié, en opposition à la militarisation du territoire et à l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure.

Cet escadron de gendarme a pour objectif de compléter la présence des gendarmes locaux pour surveiller et gérer les opposant.es au projet Cigéo (et semer la peur au quotidien sur le territoire). Ce projet est en complément de la construction d’une nouvelle gendarmerie flambant neuve à Gondrecourt – dont les travaux ont pris du retard suite à l’incendie du chantier en mai 2023. Quelques années avant, en 2018, la remise en service de la caserne de Montiers-sur-Saulx avait, elle aussi échoué, après que le bâtiment ait entièrement été détruit par un incendie.

Mandres-en-Barrois

Depuis 2018, un peloton de 80 gendarmes mobiles patrouille jour et nuit, 24 heures sur 24, et reste entre trois et six semaines dans le secteur, avant d’être relayé par une autre équipe. Ils sont rémunérés par l’ANDRA, qui a signé en 2018 une convention avec la gendarmerie nationale (pour une dizaine de millions d’euros par an), ce qui équivaut à privatiser la police au profit de l’ANDRA.

Ainsi la période de 2018 à 2019 marque un tournant important dans l’évolution de la répression sur le territoire :

Extrait de « Histoire et contexte de la lutte de Bure »(Brochure, été 2021) :

« Si des camarades en particulier étaient bel et bien surveillé·es, fiché·es, écrasé·es d’amendes, interdit·es de territoire etc., il n’y avait en revanche pas encore d’opération policière massive à l’échelle du mouvement. En juin 2017, la semaine d’action est marquée par un saccage éclair de l’hôtel-restaurant de l’Andra et donne l’occasion de maquiller la résistance nucléaire en une « association de malfaiteurs » qui serait bien décidée à commettre des « incendies criminels », si ce n’est meurtriers. La militarisation du territoire s’intensifia dans les semaines qui suivirent. Le 4 juillet une cellule nationale d’enquête est créée en vue de procéder à des investigations sur les agissements délictueux commis par les opposant·es au projet Cigéo : la Cellule Bure.

Un nouveau cap en terme de répression est ensuite franchi lors de la manifestation du 15 août 2017. Le message est clair : une répression immédiate et sans concession. Cette journée de mobilisation se termina, en effet, avec de nombreux-ses blessé.es, dont l’un faillit perdre son pied dans l’explosion d’une grenade GLI-F4. Puis vinrent le 20 septembre 2017 et ses cinq perquisitions simultanées. À partir de cette période, de nombreux·ses personnes partout en Europe exprimeront leur solidarité avec les opposant·es sur place et créeront un peu partout notamment des comités de soutiens.

Le 22 février 2018 à 6h, un mois après l’annonce de l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame des Landes et à la suite du célèbre discours « Il n’y aura plus de ZAD en france », près de 500 gendarmes mobiles procèdent à l’expulsion des habitant·es du Bois Lejuc et à la destruction de toutes les cabanes. Ils font également brutalement irruption dans la Maison de Résistance en interpellant un·e à un·e tout·es les occupant.es. À la suite de ces opérations de police, trois personnes sont placées en détention et condamnées à plusieurs mois de prison ferme. Entre février et juin 2018, les contrôles routiers et piétons sur zone deviennent incessants, menant assez souvent à des vérifications d’identité, des garde à vue, et parfois à des procès.

Le 20 juin, peu après la manifestation du 16 juin 2018 à Bar-le-Duc, Bure se réveilla avec près de 200 gendarmes déployés, l’arrestation de 8 personnes, ainsi que la perquisition de 11 lieux de vie et d’organisation de la lutte. Ces arrestations menèrent aux premiers interrogatoires des inculpé·es pour « association de malfaiteurs », dont le procès s’est déroulé à Bar-le-Duc les 1,2 et 3 juin 2021 [à ce jour, 3 personnes ont été relaxées et 3 personnes sont encore inculpé.es]. Le climat répressif sur le terrain avec la présence permanente des gendarmes, les contrôles et les procès, ainsi que l’association de malfaiteurs avaient pour but de tuer la lutte contre Cigéo. »

contrôle routier à Bonnet

Cette intensification de la répression ne faiblira pas durant la période du covid, au cours de laquelle les habitant.es du territoire font face à ce même type de méthode : harcèlements, intimidations, contrôles constants :

Extrait de « À Bure, l’agence des déchets nucléaires se paie des gendarmes » Reporterre et Mediapart. 5 juin 2020 / Marie Barbier (Reporterre) et Jade Lindgaard (Mediapart) :

« Quand le confinement pour se protéger du coronavirus a commencé en mars dernier, « je me suis dit qu’on était déjà confiné depuis 2017. C’est pas plus, mais c’est pas moins ». Michel Labat habite à Mandres-en-Barrois, un village de la Meuse, proche de Bure. Il est connu de tous comme opposant à Cigéo. Pendant le confinement, il a été contrôlé alors qu’il allait chercher du pain à quelques dizaines de mètres de chez lui. Il se souvient que le jour où le maire a distribué du gel hydroalcoolique dans les rues du village, une femme est venue se plaindre à haute-voix du grondement des jeeps des gendarmes la nuit dans les rues du village.

Pour Jean-Pierre Simon, agriculteur et militant anti-Cigéo : « Pendant le confinement, ça n’a pas faibli du tout. Toutes les deux heures ils passent devant chez moi. Au grè des équipes ou peut-être de leurs chefs, ils sont cools ou pas cools. Plus ou moins hargneux. » Lui habite à Cirfontaines, un autre village tout proche du futur site d’enfouissement. Selon lui, pendant le confinement, sur les routes du coin, « 50% du trafic, c’était eux ».

Jacques Guillemin, opposant et habitant de Mandres-en-Barrois, a passé beaucoup plus de temps chez lui que d’habitude du fait du confinement. Un jour, il dit avoir compté 27 passages d’un véhicule de gendarmes devant sa maison : « Un coup en Kangoo, un coup en jeep, ou en 4×4. J’en ai marre. Ils passent au ralenti. Me surveiller comme ça, ça ne me plaît pas. » Selon ses décomptes, les militaires passent en moyenne cinq fois par jour devant sa demeure. Parfois, c’est dix. « Personne ne vient chez nous sans que leur voiture ne soit prise en photo », ajoute-t-il. Tous les opposants interrogés par Reporterre et Mediapart pour cet article ont livré le même témoignage.

Un soir, Jacques Guilllemin dit avoir installé une caméra sur le rebord d’une fenêtre de son grenier pour filmer les passages incessants des militaires. Le lendemain matin, des gendarmes locaux sont venus lui demander de retirer l’appareil.

Sollicités par Reporterre et Mediapart, ni la gendarmerie nationale ni les gendarmes locaux n’ont répondu à nos questions concernant ces patrouilles permanentes. « C’est pas une vie. Je le vis très mal, et ma femme aussi. On ne se sent plus chez nous. »

Jean-François Bodenreider est kinésithérapeuthe à Gondrecourt, et lui aussi, opposant notoire à Cigéo. « Nous avons des rapports très cordiaux avec les gendarmes locaux. Ce ne sont pas eux qui font de la répression contre les opposants. » Les patrouilles de gendarmes ont commencé avant la signature de la convention, dès 2016, selon plusieurs habitants. Mais depuis, elles n’ont jamais faibli. « Au départ, c’était des réservistes, se souvient Michel Labat. Ils étaient beaucoup plus gentils. Ils étaient curieux, ils voulaient discuter. » Depuis, « il y a de plus en plus de patrouilles, selon Jean-François Bodenreider. « Ils tournent à deux ou trois par véhicule. Quelques fois, ils se suivent à dix minutes ou même pas. » Selon lui, « ils relèvent la plaque d’immatriculation de chaque véhicule garé devant chez nous et vérifient s’il est interdit de séjour sur le territoire. On les a déjà surpris à observer une voiture garée devant chez nous à 4 heures du matin. Si ma femme sort la tête et leur dit : « Celle-là vous l’avez déjà !, ils répondent : « On fait notre métier ». »

Une quinzaine de kilomètres est quadrillée 24 heures sur 24, comme nous l’a confirmé un militaire qui a participé à ces opérations : « Des gens sont surveillés. Comme la zone est très petite, ça fait forcément beaucoup de passages ». Quatre patrouilles de trois ou quatre gendarmes circulent en même temps. À quoi servent ces rondes incessantes ? « Il faut bien savoir qui est là, et qui est venu. Des habitants s’en offusquent, certains sont excédés. Mais c’est un choix politique. Les gendarmes n’ont pas la maîtrise de la chose. C’est le ministère qui décide. » Le même type de quadrillage et de relève systématique de plaques de véhicules aurait été pratiqué à Notre-Dame-des-Landes avant l’abandon de l’aéroport.

D’après les habitants interrogés pour cet article, les véhicules de patrouille sont des véhicules réformés, de vieilles Range Rover, ou des modèles plus récents de Kangoo et Transit. Un villageois les a vus se déplacer de nuit avec des lampes torches portant le sigle de l’Andra. Quelles sont exactement leurs prérogatives ? La Direction générale de la gendarmerie nationale n’a pas voulu répondre à nos questions. »

À la présence militaire sur le territoire s’ajoute en 2023 le TSUR : Territoire de Sécurité Urbain et Rural. Il s’agit d’un nouveau dispositif répressif expérimental interdépartemental de Bar-le-Duc à Joinville et de Vitry-le-François à Bure, en passant par Saint-Dizier, mutualisant les compétences en matière de vidéosurveillance et renforçant les coopérations entre les forces de sécurité intérieure et les polices municipales, notamment lors d’opérations ciblées.

Et au niveau national, le décret du 8 avril 2024, à l’initiative du Ministère de l’intérieur créé le nouveau fichier de police ODIINuc visant à « la collecte et l’analyse des informations relatives aux personnes impliquées dans des événements révélant un risque d’atteinte à la sécurité nucléaire » en France. Les contours flous du texte permettent aux autorités de collecter des informations privées sur des opposant·es au nucléaire. Ce dispositif de fichage est évidemment lié à la volonté de relance du nucléaire annoncée par Macron ces dernières années. Plusieurs ONG, journalistes et élu.es dénoncent au conseil d’État le fichage abusif des militant.es anti-nucléaires.

Tandis que la police fiche, surveille, harcèle et intimide, l’ANDRA use de tous les moyens à sa disposition pour faire passer le projet de Cigéo en force : chantage à l’emploi, harcèlement pour la récupération des terres, corruption par l’argent du GIP (Groupement d’Intérêt Public), mensonges, dissimulations, etc. Cette alliance fait du territoire un cas d’école de répression et de fabrication du consentement social.

Mais si le contexte burien est particulier à bien des égards, il se comprend néanmoins dans un cadre plus large d’intensification de la répression à l’échelle nationale. Depuis un certain nombre d’années déjà, la police combine des tactiques de « maintien de l’ordre » de plus en plus violentes avec un arsenal législatif et répressif digne des plus belles dictatures. On pense évidemment à l’écrasement sanglant du mouvement des gilets jaunes et aux évènements de Sainte Soline en mars 2023 comme deux marqueurs significatifs de cette période. Plus récemment encore, les camarades en lutte contre l’A69 continuent de faire face à un déchaînement de violence tant de la part des « forces de l’ordre » que de mercenaires engagés par l’entreprise en charge de la construction et de l’exploitation et de milices locales auto-constituées aux relents de fascisme. Et c’est sur fond de lois « anti-terrorisme » et séparatisme que partout dans le pays les opposant.es politiques, en résistant, contraignent la justice et la police à révéler leurs vrais visages : ceux d’organes de défense de l’État et du Capital.

Mais les militant.es ne sont pas le seules à en subir la violence débridée : dans les banlieues aussi la police harcèle, réprime, mutile et assassine, comme nous l’a douloureusement rappelé le meurtre de Nahel à l’été 2023.

Pourtant, la densification du dispositif policier à Bure et l’intensification de la répression ne sont pas strictement contextuelles ou accidentelles. Elles ne sont pas la conséquence d’une mauvaise gestion des élites dirigeantes, d’un rouage de la démocratie mal huilé ou du fait de la présence d’opposant.es particulièrement borné.es ou récalcitrant.es. Non, à Bure comme ailleurs, la répression est la caractéristique fondamentale du fonctionnement normal de l’État nucléaire. L’État nucléaire est partout, toujours un État policier. Car une population informée est systématiquement opposée à tout projet nucléaire. Ainsi de France en Finlande et de l’Ukraine au Japon, l’histoire du développement nucléaire est celle de l’opacité, du mensonge et de la dissimulation, de la corruption et de l’intimidation, des failles de sécurité et des catastrophes. Mais de Malville à Plogoff et du Berkshire à Avricourt, l’histoire du nucléaire est aussi celle de ses oppositions populaires et de ses mouvements de résistance. Car le nucléaire est par essence une technologie autoritaire, anti-démocratique.

Malgré tout, il n’y a toujours pas de déchet nucléaire à Bure, et tous les gendarmes du monde ne suffiront pas à masquer les failles de l’absurde projet Cigéo. Contre le nucléaire et ses milices, la résistance s’organise. Associations écologistes, collectifs citoyens, groupes autonomes, anarchistes et individus en tout genre se rencontrent, s’associent et luttent quotidiennement avec panache et ingéniosité contre l’ANDRA et sa police.

Non aux gendarmes au labo ! Non au labo et à Cigéo !

04/10/2024

enquête publique
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