Déchets nucléaires : à Bure, Macron n’a pas fait de cadeau

Lu sur Reporterre (04/01/2022)

En plus de trente ans, la lutte contre le projet de centre d’enfouissement de déchets nucléaires du sud de la Meuse n’a jamais connu un quinquennat si compliqué. Macron et son gouvernement ont employé sans hésitation les moyens policiers, judiciaires et militaires contre cette opposition.

Notre « tour des luttes » Sous la présidence d’Emmanuel Macron, de nombreuses résistances ont émergé contre des mesures et des projets antiécologistes. À la fin de son mandat, où en sont ces combats emblématiques contre le bétonnage, le nucléaire, le consumérisme ou les inégalités ? Quel bilan du quinquennat dressent les activistes ? Qu’attendent-ils des échéances électorales à venir ? À l’approche de l’élection présidentielle, Reporterre est allé à la rencontre de celles et ceux qui résistent.


Bure (Meuse), reportage

Des guirlandes, des sapins, et des illuminations dans tous les coins : pas de doute, Noël est passé dans le sud meusien. Enfin, peut-être pas celui que tout le monde attendait. À Bure, petit village à la frontière entre Meuse et Haute-Marne, et centre névralgique de l’opposition au centre d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo, il y a eu des réveillons plus glorieux. Réunis dans la Maison de la résistance (BZL) en petit comité, les opposants font le bilan de l’année : un procès très médiatisé, un camp d’été féministe et antinucléaire, et une enquête publique sous haute surveillance policière, dont le résultat est tombé quelques jours plus tôt. « C’est sans doute le dernier petit cadeau de Macron avant la course à la présidentielle », estime Aurélien [1], militant sur place depuis près de quatre ans. Car, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, les lignes ont beaucoup bougé sur le territoire. « Avant, aucun politique n’avait osé trancher véritablement sur le projet Cigéo, le doute était permis, et la lutte était encore possible », témoigne Jean-Pierre Simon, agriculteur haut-marnais, engagé contre le projet depuis près de trente ans.

Graffiti à Mandres-en-Barrois. © Quentin Zinzius / Reporterre

Car si un quinquennat a bien marqué cette lutte emblématique contre le nucléaire, c’est bien celui d’Emmanuel Macron. « Avant la reprise du bois Lejuc, en 2018, reprend l’agriculteur, il n’y avait pas tant de violence, de pression politique et de répression policière. » Une violence voulue, selon lui, par le gouvernement sous l’impulsion d’Édouard Philippe : « Macron et son gouvernement ont retenu la leçon de Notre-Dame-Des-Landes. Ils ont compris que laisser une Zad s’installer, c’est prendre le risque de perdre le projet. » Alors, en parallèle de l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le gouvernement a mis des moyens considérables pour endiguer l’autre grand projet du moment, à Bure.

« Il voulait à tout prix éviter un mouvement des zadistes de NDDL vers Bure, et la création d’une Zad forte et populaire au bois Lejuc », estime Dominique Laurent, élu haut-marnais membre de l’Eodra, association d’élus opposés au projet Cigéo. « Et sa stratégie s’est avérée payante, reconnait Audrey, occupante de BZL depuis bientôt six ans. La violence, la peur du conflit et des représailles judiciaires, ont eu raison d’une partie des opposants. » Quant à celles et ceux qui sont restés, « ils ont été traités comme des criminels de guerre ».

« Au moindre petit écart, ils seront là pour nous coincer »

Si, depuis ces évènements, la lutte s’est apaisée, la pression policière n’est, elle, jamais redescendue. Et avec « le procès des 1,2,3 » début juin, puis l’enquête publique entre septembre et octobre, les forces de l’ordre ont eu l’occasion de le prouver : à chaque évènement, plusieurs centaines de gendarmes ont été mobilisés, dépassant même en nombre celui des militants. « Le premier jour de l’enquête publique, nous étions une vingtaine d’opposants, pour une cinquantaine de gendarmes, témoigne Baptiste, un autre résidant de BZL. « J’ai d’ailleurs pris une amende pour avoir transporté des opposants dans ma bétaillère ! », s’amuse Jean-Pierre Simon, qui a participé aux mobilisations. Un avis de contravention qu’il a très vite payé, même s’il le juge grotesque. « À la campagne, ce genre de motif est absurde. Mais autour de Bure, c’est devenu monnaie courante. C’est un moyen de maintenir la pression sur les habitants et opposants, estime-t-il, un moyen de nous rappeler qu’au moindre petit écart, ils seront là pour nous coincer. »

Jean-Pierre Simon s’amuse encore de sa contravention, reçue quelques jours plus tôt, pour avoir participé à une mobilisation pendant l’enquête publique. © Quentin Zinzius / Reporterre

Et le rapport de force n’est pas près de s’inverser. Une nouvelle brigade d’intervention devrait s’installer à proximité de Saint-Dizier en 2022, à 40 km de Bure, ainsi qu’un dispositif de vidéosurveillance « composé d’une cinquantaine de caméras, couvrant toutes les allées et venues sur le territoire de la Haute-Marne », détaille Dominique Laurent. « Officiellement, ces dispositifs doivent servir en priorité à lutter contre la criminalité dans le département, reprend l’élu. Mais la délinquance est faible sur le territoire, et « le suivi des opposants à Cigéo » est clairement évoqué comme motif plus ou moins secondaire. » Une étape de plus dans la militarisation et le contrôle du secteur, alors que les premiers travaux, notamment l’installation d’un transformateur et la réhabilitation d’une voie ferrée pour l’acheminement des déchets, n’ont même pas commencé, et suscite l’inquiétude des opposants. « On ne sait pas grand-chose du calendrier de l’Andra, s’inquiète Audrey, on ne sait pas quand et où vont commencer les travaux. Mais quand cela commencera, il y aura certainement des mobilisations. »

« Personne ne s’attend pas à un évènement salvateur au cours de cette campagne »

Alors, à l’approche des présidentielles, tous les regards se tournent désespérément vers les candidats d’EELV et de la France Insoumise. « À part Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, quels candidats sérieux sont ouvertement antinucléaires ? », se questionne Audrey. Un avis partagé par Jean-Pierre Simon : « Le seul moyen de connaître clairement les positions des candidats, notamment de gauche, c’est de faire entrer le nucléaire dans le débat. » Pour Aurélien, la question est beaucoup plus compliquée : « Ce n’est pas seulement un candidat antinucléaire qu’il nous faut, c’est un changement profond du système, de la société. Tant que notre pays est dirigé par les lobbies, dont celui du nucléaire, nous n’aurons aucune chance », estime-t-il. Mais tous se rejoignent sur un point : « Personne ne s’attend pas à un évènement salvateur au cours de cette campagne. » « Notre meilleure chance finalement, c’est l’Andra, reprend ironiquement Aurélien. Elle va forcément faire une erreur. C’est le plus gros projet industriel jamais envisagé, avec des contraintes techniques, environnementales et sociales absolument monstrueuses. Un tel projet ne peut pas aboutir. » Les vœux des opposants sont faits.

04/01/2022

ACAB
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    Et sinon, 9 jours après
    on écrivait ça
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