Expropriations : Réponse à l’interview de Torres avec France 3

Après l’envoi des dossiers à destination des propriétaires, début mars ; l’ANDRA commence à envoyer les dossiers à destination des exploitants et exploitantes des terres qu’elle convoite (locataires, usufruitièr⋅es,..).

Dans ce nouveau courrier, parcelle par parcelle sont demandées des informations quant au bail en cours, des informations culturales (prairie, type de culture…), les aménagements de clôtures, les primes PAC, etc.

En parallèle, Patrice Torres s’attaque aux discours des opposant.es en développant un contre-argumentaire sous forme d‘interview avec Eric Molotzoff, journaliste de France 3 qui relayait quelques jours auparavant la parole d’opposant⋅es recevant leur dossier de l’ANDRA.

Ce contre-argumentaire fait aussi suite aux nombreuses contestations vis-à-vis de Torres et Hance le 18 mars lors de la réunion publique qu’ils organisaient à Mandres-en-Barrois.

Dans ce texte, on va démontrer ce qui se cache réellement derrière les éléments de langage de Torres :

• « Il nous reste un peu plus de 100 hectares à acquérir. Aujourd’hui, sur les 665 hectares de Cigéo, on maîtrise 84% de la surface nécessaire. »
→ Depuis plusieurs années, l’ANDRA développe une stratégie d’accaparement foncière sur le territoire. En 2018, on a découvert le vrai visage de cette stratégie au travers d’un tableau qui a fuité dans la presse, où les agriculteurs et agricultrices étaient fiché⋅es en tant que « maîtrisé », « maîtrisable » et « difficilement maîtrisable ».

• « Ces surfaces ne sont absolument pas nouvelles puisque nous les avons décrites et rendues publiques dans le dossier de demande de reconnaissance d’utilité publique (DUP) déposé en 2020 et délivré en 2022. »
→ Monsieur Torres nous renvoie toujours à ces fameux dossiers – soit dit en passant, composés de cartes imprécises – et dans lesquels on est censé trouver toutes les informations nécessaires, mais il ne précise pas que le dossier de la DUP fait 6000 pages et 46kg. Si Monsieur Torres a le temps de les lire parce qu’il est payé pour le faire, les paysan⋅nes et maires de petites communes n’ont pas ce loisir.
→ En 2021, on a découvert que l’emprise en tréfonds des galeries de Cigéo était passé sans explication de 15 km² à 29 km², soit de 1500 à 2900 ha sous nos pieds. On a vite compris la raison quand l’ANDRA a répondu au Sénat qu’elle pourrait aussi accueillir les déchets produits par les 14 projets d’EPR prévus par la relance du nucléaire, ce qui implique l’augmentation de l’emprise en surface et en tréfonds.

• « Il n’y a pas d’acquisition de surfaces nouvelles par rapport à ce qui a été déclaré. »
→ Il y a quelques années, l’ANDRA avait déjà procédé à une sorte de remembrement le long de la voie ferrée (des échanges que les paysan⋅nes avaient fini par accepter tout en trouvant des arrangements entre ell⋅eux) ; mais cela ne lui suffit jamais, et à travers la DUP, elle est revenue pour saisir des terrains supplémentaires. Preuve en est que l’accaparement s’amplifie.

• « Il y a des endroits où on a besoin de la pleine propriété, c’est-à-dire d’être propriétaire de la surface et du tréfonds. Par exemple, au niveau de ce qu’on appelle la zone puits, […] il nous faut aussi les tréfonds. »
→ L’ANDRA s’était bien gardée de le notifier à la commune de Mandres-en-Barrois lors de l’échange du Bois Lejuc en 2017, en omettant ainsi le paiement des tréfonds.

• « Ce sont des petites parties qui manquent pour majoritairement les liaisons entre sites : la route entre les installations de descenderie, le puits et également l’installation du terminal embranché, c’est-à-dire, les 14 km de voie ferrée privée qui sera reliée au réseau SNCF. »
→ En réalité, l’ANDRA a découpé son projet en petits morceaux pour mieux le faire gober. De nouvelles expropriations pourraient voir le jour dans les années à venir concernant le projet de transformateur électrique et le tronçon de voie ferrée entre Gondrecourt et Nançois.

• « Les tréfonds sont en moyenne à moins 150 mètres sous la surface. S’il n’y a pas d’installation de surface, le propriétaire pourra conserver la pleine propriété de son terrain jusqu’à moins de 150 mètres. Il pourra continuer ses activités agricoles, sylvicoles ou autres. »
→ Continuer à exploiter la surface, vraiment ? Avec des déchets nucléaires en-dessous ? Qui aura envie de cultiver ces parcelles ? Et quel label obtiendrons-nous pour nos cultures : le label atomique ?
→ Aussi, tout le monde comprend que ces terrains vont perdre en valeur avec les déchets nucléaires qu’il y aurait en-dessous : qui voudra les acheter à part l’ANDRA ? De cette manière, l’ANDRA s’arrange pour avoir progressivement la main-mise sur tout le territoire.
→ D’ailleurs, en parallèle de ces procédures d’expropriations – qui ne sont pour le moment que du papier -, on voit depuis quelques mois à Bure, Mandres, Luméville, Gillaumé,.. des maisons se faire une à une détruire tandis que de plus en plus de maisons sont à vendre ici ou là. Et en parallèle, l’ANDRA propose à des mairies locales des projets clef-en-main de rénovation d’habitation pour accueillir leurs futurs ouvriers. Certains maires refusent, préférant accueillir des familles et maintenir une vie locale plutôt que de devenir cité-dortoirs.

• « On va continuer à échanger avec les agriculteurs et les ayants droit. »
→ Cette stratégie « à l’amiable », dont l’ANDRA se vante tant, s’exerce essentiellement par des pressions sur les propriétaires sous forme quasi de harcèlement et d’un chantage qui ne dit pas son nom, notamment par le biais d’Emmanuel Hance. C’est d’ailleurs ce même personnage exécrable qui a été enfariné lors d’une réunion de l’ANDRA à Mandres le 18 mars dernier (amenant un sourire non dissimulé sur le visage de bon nombre d’habitant⋅es du coin).
→ C’est un mensonge de prétendre à une stratégie à l’amiable avec l’ANDRA. Le rapport de force est tellement inégal : il faudrait être en position de négocier d’un côté comme de l’autre. Or où est l’équilibre quand on est face à l’ANDRA, un des bras de la puissance nucléaire étatique ? Surtout si on est seul⋅e, et les magouilles de l’ANDRA depuis des années ont, plus qu’ailleurs, isolé les paysan⋅nes : diviser pour mieux régner.
→ Et toujours à propos des échanges, quel héritage sera-t-il laissé aux générations futures qui souhaitent reprendre l’exploitation familiale ? Certaines familles sont là depuis au moins 1530 (donc avant même que le registre d’état civil n’existe).
→ Ces terres sont bien cultivées depuis des millénaires… Preuve en est : les fouilles archéologiques préventives sur les terres cultivées autour du labo ont attesté de la présence d’une enceinte datant du néolithique.

• « Si certains considèrent que le fait de diminuer la surface de leur parcelle ça la morcelle, je ne vais pas porter de jugement sur cette affirmation, c’est leur ressenti. »
→ Il suffit de s’être penché.e une fois sur un dossier reçu par un propriétaire et d’avoir constaté ce morcellement pour se rendre compte que non seulement Torres ne sait pas de quoi il parle en terme d’agriculture, mais surtout que cette phrase révèle son mépris et sa mauvaise foi… Car ce n’est pas un ressenti, c’est un fait.
→ Tandis que des parcelles sont parfois morcelées, à gauche à droite, pour laisser passer la voie ferrée ; bizarrement la parcelle entière de l’Ancienne Gare de Luméville-Chassey appartenant à des opposant.es se retrouve complètement expropriable – alors que la voie ferrée n’est pas censée faire plus de 9 mètres de large.

• « Nous avons aussi des réserves foncières pour leur proposer, si ça les intéresse, soit de racheter des surfaces équivalentes quand ils sont propriétaires exploitants, soit s’ils n’étaient qu’exploitants et qu’ils n’ont pas la volonté ou la capacité d’acheter, de pouvoir devenir exploitant d’autres surfaces. »
→ Ah bon ? Pourtant l’ingénieur à tout faire de l’ANDRA, E. Hance, prétend qu’il n’y a plus de terres disponibles, qu’il n’y aura plus d’échanges, pour mettre le couteau sous la gorge lors de chacune de ses visites auprès des paysans et paysannes. Et c’est le même qui a distribué des baux précaires comme des os à ronger à toutes celles et ceux qui acceptaient les échanges auparavant – et qui vont s’arrêter, causant tout de même une perte sèche pour l’exploitation.

• « L’enquête parcellaire permet aussi de venir chercher dans des permanences avec des membres d’une commission d’enquête des informations. »
→ Ces commissaires, tous retraités qui ont accepté de travailler quelques heures pour l’ANDRA, sont tellement informés sur les expropriations qu’ils ne savaient même pas ce qu’est l’ITE lorsqu’une question a été posée sur le tracé de la voie ferrée.. Ils « enquêtent » sans même connaître le projet qui veut s’imposer sur ces terres.

• « Il existe des gens opposés au projet, ce n’est pas nouveau. Ils vont agir. Quand c’est sur le plan réglementaire et légal, on a aucun problème avec ça. Encore une fois, ça fait partie des dispositifs d’un pays démocratique et heureusement. »
→ Torres fait semblant d’ignorer qu’il s’agit d’une lutte du pot de fer contre le pot de terre et que les recours administratifs et juridiques ne peuvent suffire à eux seuls contre le plus gros projet industriel européen – d’autant plus avec les actuelles annonces de relance de la filière nucléaire.
→ Quand Torres souligne le caractère démocratique dans lequel avance Cigéo, on en oublierait presque que le principe de la démocratie, c’est aussi de pouvoir dire « non ». Quand il y a eu une consultation menée auprès des habitant⋅es de Mandres à propos de l’échange du Bois Lejuc, la plupart était contre, mais leur refus exprimé n’a même pas été pris en compte.
→ De plus, l’ANDRA se paie actuellement un nouveau bâtiment de flics à 10 millions d’euros, ainsi qu’un escadron de 80 gendarmes mobiles pour défendre son laboratoire depuis 2017. Elle est belle, la démocratie…

• « C’est sûr qu’on ne peut pas apprécier que nos réunions qui sont censées transmettre de l’information soient raccourcies »
→ Depuis plus de 25 ans, l’ANDRA diffuse ses arguments dans ses locaux, dans les mairies contraintes d’accueillir ses dossiers, ses campagnes, son journal à large tirage… L’ANDRA a-t-elle vraiment besoin en plus de passer sa pommade lors de réunions publiques pour nous expliquer à quel point les expropriations sont une bonne chose pour le territoire et qu’il va falloir les accepter sans broncher ?

• « On préférerait que toutes les réunions se passent dans un climat calme et serein pour ceux qui viennent chercher des informations, plus que pour nous-mêmes. »
→ Mais pourquoi les gens perturbent les réunions publiques ? Parce que jamais l’avis de la population n’est pris en compte dans ces simulacres de démocratie participative. Depuis l’implantation du laboratoire, des mobilisations énormes se sont organisées contre le projet Cigéo et les seules réponses ont été une militarisation de la zone, une répression policière féroce et une série de procès aux motifs absurdes.

La mobilisation continue dans son éventail de diversité… Depuis l’annonce des expropriations, un rassemblement a eu lieu à Gondrecourt le premier jour de l’enquête parcellaire, des réunions publiques, de l’affichage dans les villages, enfarinage d’Emmanuel Hance et jets d’œufs sur Patrice Torres, serrures de portes censées accueillir l’enquête parcellaire gluées, et bientôt des recours juridiques vont se lancer,…

Récemment la commune de Mandres-en-Barrois a même refusé de céder ses terres municipales à l’ANDRA. Plusieurs propriétaires et exploitant.es expriment leur refus de céder leurs terres : ils tiennent bon, ils osent et sortent de l’isolement. Alors à nous toutes et tous de les soutenir, de se tenir à leur côté. Ensemble, malgré nos différences et nos désaccords, on est toujours plus forts, et l’ANDRA le sait bien : c’est pour ça qu’elle fait tout, avec la complicité crasse de certains élus du coin, pour empêcher les opposant⋅es de s’installer.

La lutte continue. Nos villages et nos fermes vivront sans ce projet monstrueux.

15/04/2024

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