Les débuts de l’occupation

Samedi 11 octobre 2025 – Jour 1 – Le Banquet

La Gare est illégale, paraît-il. Nous y voilà enfin. Nous célébrons ce drôle de passage en donnant un grand banquet dans le bâtiment principal. Une cinquantaine de convives prennent place autour des tables où brillent des cierges par dizaines. Un discours est lu, solennel et puissant, qui s’achève sous les applaudissements et les feux d’artifices. Le voici tel que nous l’avons entendu :

« Chères ami⋅es,

la Gare est heureuse de vous voir aujourd’hui réunies pour ce banquet inaugural de son occupation illégale. Depuis 2007, cette jolie prairie calcaire et ses charmants bâtiments – à l’époque bien moins hospitaliers, il faut le dire – ont été achetés par des opposants qui préféraient le son saturé des guitares punk aux crissements des wagons de déchets nucléaires. Eh oui ! Cela fait déjà 18 ans que cet endroit et ses évènements ont grandi sous le regard bienveillant de la Loi et du sacro-saint régime de la propriété privée. C’est à cet âge charnière que l’État a choisi d’encourager notre sémillante Gare à quitter le nid douillet de la légalité pour voler de ses propres ailes au dessus des mornes procédures d’accaparement foncier de l’Andra.

Si au cours de sa jeunesse la Gare a pu faire la forte tête face à l’administration, en remontant son préau ou en osant ériger des cabanons si détestables au maire de Gondrecourt, elle a toujours pu accueillir les milliers de personnes qui ont su s’occuper d’elle et vivre des aventures plus ou moins joyeuses. Camp VMC, chantiers cuisines, Rayonnantes, rencontres contre la taule ou le spécisme, isolation de ses murs, cabanes, concerts à la Bricostation et autres barricades de caravanes, ces dix huit années ont été mises à profit pour atteindre la maturité mêlée de fougueuse insolence qu’on lui connaît aujourd’hui.

C’est sur ces nappes impatientes d’accueillir convives, falafels et conspirations futures que nous allons pouvoir partager ce premier banquet illégal, annonciateur de semaines et de mois de soleils radieux et de réveils matinaux.

Remémorons nous tous et toutes nos souvenirs heureux, nourrissons des vestiges du vieux monde nos braseros et prenons soin de nous toustes et des aubépines qui nous séparerons un jour de la gendarmerie, jalouse de la puissance éclatante de ce lieu. Quand l’adversité viendra à poindre le bout de son nez, franchissant les portails colorés, n’oublions pas que la lutte contre Cigéo et ses 150 ans de travaux n’en sera qu’à ses balbutiements. Que comme la Gare nous devrons nous métamorphoser en laissant derrière nous un État rigide, une filière nucléaire moribonde, incapables de comprendre la beauté de ce que nous avons vécu ici. Que nous reviendrons sur ces rails enherbés et sur d’autres continuer le combat contre l’oubli de ces moments joyeux, et contre l’oubli de la honte des déchets nucléaires.

Longue vie à la Gare illégale et fière et à vous toustes, à celleux qui l’ont aimée, un grand merci. »

La soirée s’étire en longueur, au rythme des plats, des bouteilles de jus de pomme ou de vin rouge puis au son d’un accordéon furieux. Naît alors une idée toute simple, en forme de pied de nez à la menace qui grandit à l’horizon : et si, des banquets comme celui-ci, nous en faisions tous les mois ? Et si, la « Gare illégale » traversait l’hiver de soirées festives en dîners mondains, moments de joie et de répit au milieux des barricades ? Serons-nous encore là pour le 5e banquet mensuel de l’Ornois? Que servira-t-on pour la dixième édition des Festoiements de la Gare ? Venez et vous saurez !

 

Dimanche 12 octobre 2025 – jour 2 – L’expulsion

-Et si ils venaient vraiment nous expulser demain ?

-Naaan… Pas demain … Dans un an ou deux …

-Ben nan, dans deux ou trois semaines !

-Mais nan ! Demain j’vous dit ! J’suis sûre. Et même que j’vais pas dormir de la nuit, comme ça je vous réveille dès qu’ils arrivent.

-Y paraît qu’on a vu des camions de gendarmes mobiles à 1h d’ici… Genre 8 ou 9 …

-Mais nan, c’est des camions de CRS à 2 ou 3h, qui viennent de Paris.

-Ok ! C’est sûre, ils arrivent ! J’vais barricader l’entrée voiture.

-Mais nan, arrête, il est 17h30 là…

-Tranquille, ils expulsent jamais un 12, c’est bien connu.

-Ok bah j’vais quand même fermer l’entrée voiture cette nuit, on sait jamais.

-Ha ouai, à quelle heure ? Quand tu vas te coucher ? Genre minuit…

-Tu rigoles toi ! On est à la bougie là… A 20h, tout le monde dort… C’est les « couche-tôt d’la Gare » ici…

-Ok, ben on ferme de 8 à 8 alors.

-Ouai… Une bonne occupation commence par un sommeil qualité.

-Ouai.

-Bien dit !

-Ok.

 

Lundi 13 octobre 2025 – jour 3 – La remise des clés

Patrice est assis à son bureau. Il observe au loin la campagne meusienne : autour de son laboratoire tout est à lui. Tout ? Non, une improbable parcelle résiste encore et toujours à ses velléités expropriatrices.

Mais aujourd’hui peut-être, tout va changer, basculer. Il ne se fait pas de grandes illusions mais tout de même, il attend – et quand, comme lui, on déborde d’ambition, attendre cela veut dire espérer. Alors il espère que quelque chose vienne rompre la monotonie de ce lundi ensoleillé. Et si, les occupant.es de la gare de Luméville venaient bel et bien lui « remettre les clés » de leur terrain, comme il le leur a exigé il y a quelques jours par voie d’huissier ? Patrice est sceptique. Il sait que ces asticots là ne viendront pas avec des clés – d’ailleurs cela n’existe pas « les clés de la Gare », il n’y a pas de clés pour une friche de plusieurs hectares, truffée de pièges et de barricades, de cabanes et de buissons d’aubépines. Mais vont-iels seulement venir ? Il leur a donné rendez-vous à l’espace technologique – chez lui, donc, car ici tout est à lui – et puis il a été large, il a mis de 10h à 18h. C’est pas des gens très ponctuels, qu’il s’est dit le Torres au moment d’écrire sa lettre et il était tout fier de lui de les mépriser de la sorte, avec sa grosse montre au poignet. Mais maintenant, c’est lui qui attend. Et il attend toute la journée parce qu’il ne voudrait pas rater ça. Il n’arrive plus à se plonger dans ses dossiers pleins d’acronymes, il se tient à sa fenêtre, regarde son rond-point, guette la moindre voiture : ce lundi, Patrice fait la vigie.

L’après-midi s’enfuit, le soleil décline sur les monocultures en bail précaire et Patrice désespère. Iels ne viendront pas. Bien sûr qu’iels ne viendront pas. Ni avec des clés de cadenas, ni avec des clés de maison, ni avec un trousseau carnavalesque qui exploserait en mortiers d’artifice une fois posé sur le parking de l’Andra. Iels ne viendront pas parce qu’iels n’ont rien à faire ici, dans la gueule du loup et qu’iels ont bien d’autres choses à penser. À quelques kilomètres de là, comme cachées dans un drôle de plis géologique du sud-meuse, on s’active. Et à la nuit tombée, sous le ciel éclatant d’étoiles, quelqu’un.e se souvient du courrier froissé, jété sous la table de la cuisine ou dans une flaque de boue et qu’on avait lu en rigolant : tiens, mais c’est aujourd’hui que Patrice voulait ses clés. Tout le monde l’avait oublié, celui là.

 

Mardi 14 octobre 2025 – jour 4 – 10h24 – Le passage de l’huissier

« Ya quelqu’un ? Hohé !!! Ya quelqu’un ???? Pardon, excusez-moi… Ya quelqu’un ? Nan mais si ya personne c’est tant mieux, c’est ce que je viens constater justement. C’est l’Andra qui voudrait savoir si vous êtes parti … Je suis l’huissier, moi, je viens juste constater. Alors ? Ya quelqu’un ou ya personne ? Ha ! Heu … Mr Torrès, il semblerait qu’il y ai quelqu’un… Heu … On fait comment du coup ? »

14/10/2025

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