Techno-aliéné – contre le système technicien

Reproduction d’un texte paru dans le fanzine de la semaine antinuk d’octobre 2020 (voir cet article), qui retranscrit le point de vue d’un technicien technocritique.

Texte mis en page téléchargeable en pdf

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Comme beaucoup de mes contemporains, je suis aliéné par les technologies numériques. Je désire témoigner de cette aliénation de mon point de vue situé de technicien.
Ce mot reflète plusieurs réalités pour moi. Il constitue pour moi et certaines de mes camarades technicien.nes, avec qui je partage une opposition idéologique à la technostructure, une place dans la hiérarchie militarisante des acteur.ices humain.es de la mise en place à marche forcée de ce système technique. En ce sens, le technicien est un peu l’adjudant sous les ordres de l’Ingénieur, l’officier de l’armée de dévitalisation du monde. Il constitue également une partie de l’identité sociale qui m’a été attribuée (notamment durant cette semaine), dans un rôle qui ressemblerait cette fois-ci à une caste. Ce rôle est d’autant plus respecté qu’il apparaît hermétique et monolithique; figeant le membre de cette caste dans une position essentialisée, enfermée dans une bulle flottant tantôt en-dessous et tantôt en surplomb du plan de l’horizontalité, cette aspiration politique qui, quoique floue, s’accommode à l’évidence bien mal de l’existence de castes.

Le technicien incarne enfin un rôle que je me suis moi-même attribué, que j’ai intériorisé. Qu’il m’apporte joie ou déboires, il m’a été très difficile de m’extraire de ce rôle qui ne fait appel qu’à une infime partie des capacités humaines ; premièrement sur le plan technique, du fait du cadre rigide qu’impose des machines qui accompagnent le technicien et de manière plus évidente encore sur les plans émotionnels, social, musculaire, sensible, etc.

Cette fonctionnalisation qui réduit l’être humain à un rouage ou à une courroie de la partie matérielle de la Mégamachine, qui plus est sous l’impulsion de l’individu lui-même, est la définition même de l’aliénation technicienne.

Lors de l’exécution d’une tâche technique, la réussite ou l’échec de celle-ci dépend largement de l’exécution correcte d’instruction sur des réseaux impalpables, de phénomènes complexes d’électrons sur des composants fabricables uniquement à grande échelle sur des usines exotiques à plusieurs milliards d’euros. De ce fait la réparation d’apparence familière exécutée par le technicien qui remet internet comme il pourrait réparer une chaise dépend en réalité de son inclusion comme prothèse biologique dans un réseau numérique mondial.

Les outils numériques de plus en plus user friendly se multiplient et se rendent de plus en plus indispensables et de moins en moins réparables dans un sens traditionnel et mécanique. A ce titre, la liste des personnes victimes de ces technologies est en train de s’allonger : chômeur.se sur le site de Pôle emploi, enseignant.e sommée à la classe à distance durant le Covid, habitant.es d’un territoire en voie d’artificialisation invitée à une concertation numérique parents qui tentent de retarder l’accès à un ordiphone à leur enfant. Le technicien technocritique, bien que solidaire de ces populations strictement captives de ces appendices à écran de la technostructure, se place malgré lui comme lubrifiant de ce système à chaque fois qu’il tente avec bienveillance d’aider ses camarades en détresse numérique.

Il m’est en outre arrivé, comme à d’autres technicien.nes je crois, de devoir assumer un rôle quasi répressif à l’égard d’autres êtres humains pour assurer le fonctionnement normal de la machine, et même pour tenter de pallier à ses dysfonctionnements : en réprimandant des mauvais usages, en pressant des commandes pour préparer la technique. L’humain sert de variable d’ajustement à une relation utilisateur-machine dont le deuxième terme n’offre pas de prise de par sa nature même. Le technicien se trouve ainsi dans un rôle répressif contre son propre intérêt, à la manière du gendarme qui expulse les militants qui défendent le territoire sur lequel lui-même réside. Ce vécu sensible des contradictions inhérentes à ce système technique, que ce soit pour le technicien lui-même ou les personnes en détresse qu’il tente d’aider, explique sans doute la prévalence de l’engagement technocritique chez les technicien.nes militantes.

Cette dimension personnelle m’a permis durant cette semaine de considérer la lutte anti-tech comme un combat d’émancipation à mener pour lutter contre la déconnexion de la vie biologique et contre les menaces chaque jour plus palpables portées par une technostructure contre les habitantes qu’elle englobe (fichage, dépendance, réclusion des déconnectées, extractivisme, réseaux énergétique…)
L’utilisation et la compréhension des outils techniques nouveaux pour se défendre contre ce système même reste malheureusement un horizon difficile à déplacer.
Il faudra toujours brancher des câbles connectés à des millions de km de cuivre et de fibres optiques, acheter des clefs USB et se retrouver essentialisé.e comme personne ressource qui tout en luttant pour transmettre son savoir devra prendre le risque d’ouvrir la boite de Pandore de l’aliénation technologique. C’est par l’entraide et la dé-spécialisation que réside l’espoir de voir diminuer l’isolement lié à la fracture numérique comme celle de la technicien.ne. La civilisation de l’Ingénieur a besoin de spécialistes et de sujets dépendants (pensez à l’industrie nucléaire).

Tuons l’Ingénieur qui est en nous et arrêtons la gangrène cybernétique qui depuis son cloud et par ses réseaux physiques compromet notre existence biologique et sensible.

03/01/2021

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