L’Allemagne peine à enterrer ses déchets radioactifs

Article paru à l’origine sur mediapart le 8 mai 2023. En Allemagne, où la lutte antinucléaire est autrement plus développé et où le nucléaire n’est plus une énergie d’avenir, l’enfouissement des déchêts nucléaires n’est pas une urgence.

 

 

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Où et comment stocker 27 000 mètres cubes de déchets nucléaires en toute sécurité et pendant un million d’années ? La recherche allemande d’un site « définitif » veut faire la part belle aux avis scientifiques et aux consultations publiques. Mais elle a déjà pris beaucoup de retard.

Thomas Schnee

8 mai 2023 à 18h35

Berlin (Allemagne).– Le 15 avril dernier, l’Allemagne est « sortie du nucléaire » en débranchant les trois dernières centrales en service sur son territoire. Le pays ne produit donc plus d’électricité d’origine nucléaire. Il doit désormais démanteler trente-six réacteurs et stocker de manière sûre et durable les déchets hautement radioactifs issus de cette activité.

« L’énergie nucléaire a fourni de l’électricité pendant trois générations, mais son héritage reste dangereux pendant 30 000 générations. C’est pourquoi nous devons prendre des précautions et gérer ce processus de manière responsable », a commenté Steffi Lemke, ministre de l’environnement et membre des Verts, soucieuse de rappeler au pays que l’ère de l’atome n’est pas encore achevée.

Pour gérer ses déchets, l’Allemagne utilise une classification à trois niveaux. Les deux premiers concernent les déchets « à vie courte », peu et moyennement radioactifs. On y retrouve par exemple les outils, les combinaisons de travail, le mobilier, les gravats et autres composants métalliques des systèmes des centrales… Une partie d’entre eux peut être décontaminée et recyclée sans restriction. Une autre partie doit être stockée dans des fûts et enfouie sous terre pendant quelques siècles.

Et puis il y a les déchets hautement radioactifs, soit le combustible usé et les éléments du cœur du réacteur, capables d’irradier pendant des dizaines de milliers d’années. Ceux-ci sont vitrifiés et enfermés dans les fameux conteneurs Castor (Cask for Storage and Transport of Radioactive Material), des conteneurs de stockage et de transport. Ils sont actuellement entreposés sur 16 sites temporaires, comme les mines de sel de Gorleben ou d’Ahaus, et sur les sites des centrales.

© Photo Sina Schuldt / dpa Picture-Alliance via AFP

La loi allemande, quant à elle, mentionne un enfouissement d’au moins un million d’années dans un site souterrain creusé à plusieurs centaines de mètres de profondeur dans des roches géologiquement stables. Autant dire que personne n’a idée de la civilisation qui occupera le territoire allemand à cette époque lointaine.

« La quantité totale de déchets hautement radioactifs devrait représenter un volume total d’environ 27 000 mètres cubes. La quantité de déchets faiblement et moyennement radioactifs s’élève actuellement à 120 000 mètres cubes… Et on peut compter sur environ 180 000 mètres cubes supplémentaires dans les années à venir », détaille le physicien nucléaire Thomas Walter Tromm, de l’Institut de technologie de Karlsruhe.

La première décision allemande en matière d’enfouissement de déchets nucléaires remonte à 1977. Le ministre-président de Basse-Saxe à l’époque, Ernst Albrecht, choisit la mine de sel de Gorleben comme site adapté pour accueillir les déchets hautement radioactifs. Très rapidement, la mine, qui se trouve en pleine campagne et effraye les paysans locaux, devient l’un des points majeurs de cristallisation des luttes antinucléaires, particulièrement lors de l’arrivée des Castor, traités dans la centrale française de la Hague. Le dernier transport, fin 2011, a ainsi opposé près de 50 000 manifestant·es à 20 000 policiers.

Le non au nucléaire d’Angela Merkel

Au niveau fédéral, il faut attendre la coalition SPD-Verts de Gerhard Schröder (1998-2002) pour qu’une commission ad hoc définisse pour la première fois le cadre de la recherche d’un site d’enfouissement définitif. De son côté, une commission mandatée par le Bundestag entre 2010 et 2013 a échoué à se prononcer sur l’avenir de Gorleben.

On découvre aussi que l’industrie du nucléaire a stocké, avec la complicité de l’État fédéral, une partie de ses déchets nucléaires de faible et moyenne intensité dans les mines de sel d’Asse et de Morsleben dans des conditions parfois dramatiques. Ce qui ne renforce pas la confiance de citoyennes et citoyens allemands déjà peu enclins à voir un site de déchets nucléaires près de chez eux.

En 2011, la volte-face d’Angela Merkel, qui décide l’arrêt complet du nucléaire pour 2022, va néanmoins relancer le processus. Une loi sur la recherche d’un lieu de stockage, la « Standortauswahlgesetz » (StandAG) est votée en 2013. Une commission composée d’expert·es, de parlementaires et de lobbyistes est par ailleurs chargée par le Bundestag de définir le cadre technique et sociétal de la recherche.

En 2016, son travail débouche sur un rapport qui précise les structures administratives responsables. L’Office fédéral pour la sûreté de la gestion des déchets radioactifs (BASE), sous tutelle du ministère de l’environnement, a désormais le rôle d’autorité de surveillance et organise la coopération avec les autorités régionales dans les seize Länder. Il chapeaute l’Office fédéral pour le stockage définitif (BGE), son bras opérationnel pour la recherche et la gestion des sites.

Enfin, le Fonds pour le financement de la gestion des déchets nucléaires (KENFO) est créé. À cette époque, le gouvernement fédéral bataillent avec les avocats des exploitants du secteur, qui négocient cher la sortie imprévue du nucléaire. L’accord définitif est le suivant : les entreprises financent le démantèlement de leurs centrales et participent au nouveau fonds pour un montant ferme et définitif de 24 milliards d’euros.

Le reste sera financé par le contribuable, quoi qu’il en coûte. Or, l’estimation officielle du coût total du stockage des déchets s’élève à 170 milliards d’euros. Elle date de 2015 et s’appuie sur des délais et des projections dépassés. Autant dire que l’industrie s’en tire à très bon compte.

L’abandon de Gorleben, pas assez sûr

C’est donc sur ces bases que la recherche d’un site définitif est officiellement relancée le 22 février 2017. La méthodologie des recherches futures, qui laisse la décision finale au Bundestag, renforce le poids des analyses scientifiques dans la procédure de choix. Elle définit aussi un système de ciblage des sites en trois étapes, avec en parallèle un processus de consultations publiques aux niveaux fédéral, régional et local. Enfin, une commission d’accompagnement et d’information est créée pour « surveiller » l’ensemble du processus.

En septembre 2020, la première étape de la recherche a débouché sur la publication des analyses géologiques nationales, centrées sur la recherche des sous-sols salins, argileux et granitiques. Résultat, les zones retenues couvrent 54 % du territoire national et s’étalent sous tous les Länder.

Par ailleurs, à la surprise générale, la mine de sel de Gorleben, qui abrite toujours 113 Castor, est définitivement exclue de la liste des sites possibles. Les analyses géologiques concluent que le « dôme salin » de la mine est insuffisant.

« Le choix du site de stockage définitif était motivé par des raisons politiques. En 1977, ce ne sont pas des raisons géologiques qui ont été décisives pour le choix, mais le fait que le dôme de sel se trouvait dans une région peu peuplée et structurellement faible – directement à la frontière de l’ancienne RDA. On ne s’attendait pas à une grande résistance à cet endroit », commente Ortrun Sadik, militante de Greenpeace.

L’abandon de Gorleben a été un symbole important qui semble confirmer la volonté d’une recherche basée sur les faits scientifiques et l’adhésion des populations. Quitte à prendre le temps, beaucoup de temps. Plus personne ne croit en effet que la date de 2031, fixée pour l’aboutissement des recherches, ne pourra être tenue. On parle actuellement de 2050 et au-delà.

Sur le terrain, les résistances sont toujours fortes. Dès la publication du plan des sous-sols par le BGE, des cantons et communes situés sur les sous-sols repérés ont d’emblée annoncé qu’ils rejetaient par avance toute décision qui les qualifierait. C’est aussi la position de l’actuel gouvernement conservateur bavarois qui, parallèlement, plaide en faveur de la prolongation du nucléaire civil.

Wolfgang Ehmke, l’une des figures des mouvements antinucléaires de Gorleben, rappelle enfin que l’Allemagne est encore loin d’être une zone totalement dénucléarisée. « Comme chacun sait, l’usine d’enrichissement d’uranium de Gronau et l’usine de fabrication de combustible de Lingen sont exclues de la sortie du nucléaire. »

La première est contrôlée par Urenco, une société détenue par la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et l’Allemagne (via E.ON). La seconde est la propriété de la multinationale française Framatome (ANF). Toutes deux alimentent une bonne partie des centrales nucléaires européennes et sont dépendantes de traités internationaux. Donc intouchables.

Thomas Schnee

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